« Annie, ma chère, dit sa mère en arrangeant sa robe, vous avez perdu un de vos nœuds. Quelqu’un veut-il avoir la bonté de la chercher ? c’est un ruban cerise. »
C’était celui qu’elle portait à son corsage. On le chercha partout ; je le cherchai aussi, mais personne ne put le trouver.
« Vous rappelez-vous si vous ne l’aviez pas encore tout à l’heure, Annie ? » dit sa mère.
Je me demandai comment cette femme que je venais de voir si pâle était tout à coup devenue rouge comme le feu, en répondant qu’elle l’avait encore il n’y a qu’un instant, mais que cela ne valait pas la peine de le chercher.
On se remit en quête pourtant, sans rien trouver. Elle demanda qu’on ne s’en occupât plus et les recherches se ralentirent. Puis enfin, quand elle se trouva tout à fait bien, tout le monde prit congé d’elle.
Nous marchions très-lentement en retournant chez nous, M. Wickfield, Agnès et moi. Agnès et moi nous admirions le clair de lune, mais M. Wickfield levait à peine les yeux. Quand nous fûmes enfin arrivés à notre porte, Agnès s’aperçut qu’elle avait oublié son sac à ouvrage. Enchanté de pouvoir lui rendre un service, je pris ma course pour aller le chercher.
J’entrai dans la salle à manger où Agnès l’avait oublié : tout était dans l’obscurité, et je ne vis personne, mais la porte qui donnait dans le cabinet du docteur était ouverte ; j’aperçus de la lumière, et j’entrai pour dire ce que je venais chercher et demander une bougie.
Le docteur était assis près du feu, dans son grand fauteuil ; sa jeune femme était à ses pieds sur un tabouret. Il lui lisait tout haut, avec un sourire de complaisance, une explication manuscrite d’une partie de la théorie du fameux dictionnaire, et elle avait les yeux attachés sur lui. Mais je n’ai jamais vu sur un visage pareille expression, de si beaux traits, pâles comme la mort, un regard si morne et si fixe ; l’air égaré d’une somnambule ; une frayeur de cauchemar ; une horreur profonde, je ne sais de quoi. Ses yeux étaient tout grands ouverts et ses beaux cheveux bruns tombaient en boucles épaisses sur sa robe blanche, veuve du ruban cerise. Je me la rappelle parfaitement telle qu’elle était. Je me demandais ce que cela voulait dire ; Je me le demande encore aujourd’hui même, en évoquant ce tableau devant mon jugement mûri par l’expérience de la vie. Du repentir, de l’humiliation, de la honte, de l’orgueil, de l’affection