Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/300

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pourquoi je me bornerais à quatre certainement, non, ce n’est pas à quatre chevaux ; il se laisserait tirer par huit, par seize, par trente-deux chevaux plutôt que de dire un mot qui pût déranger les plans du docteur.

— Dites plutôt les plans de Wickfield, dit la docteur en passant la main sur son menton et en regardant son conseiller d’un air repentant ; c’est-à-dire le plan que nous avions formé à nous deux. Pour moi j’ai dit seulement : « en Angleterre ou à l’étranger. »

— Et moi, j’ai dit : « à l’étranger, ajouta gravement M. Wickfield ; c’est moi qui l’ai fait ; c’est moi qui en suis responsable.

— Oh ! qui est-ce qui vous parle de responsabilité ? dit mistress Markleham ; tout a été fait pour le mieux, mon cher monsieur Wickfield, nous savons bien que tout a été fait dans les meilleures intentions. Mais si ce pauvre garçon ne peut pas vivre, là-bas, que voulez-vous y faire ? S’il ne peut pas vivre là-bas, il mourra là-bas, plutôt que de déranger les projets du docteur. Je le connais bien, continua mistress Markleham en agitant son éventail avec l’air calme et prophétique d’une prêtresse inspirée, et je sais bien qu’il mourra là plutôt que de déranger les plans du docteur.

— Eh bien ! eh bien ! madame, dit gaiement le docteur, je ne suis pas assez fanatique de mes projets pour ne point les changer moi-même et refuser tout autre arrangement. Si M. Jack Maldon revient en Angleterre pour cause de mauvaise santé, nous ne le laisserons pas repartir, et il faudra tâcher de le pourvoir d’une manière plus avantageuse dans ce pays-ci. »

Mistress Markleham fut si surprise de la générosité de ce discours, qu’elle n’avait ni prévu ni provoqué, bien entendu, qu’elle ne put que dire au docteur que cela lui ressemblait bien, et répéter plusieurs fois de suite son geste favori, en baisant le bout de son éventail, avant d’en caresser la main de son sublime ami. Après quoi elle gronda quelque peu sa fille Annie, de ce qu’elle n’était pas plus expansive, lorsque le docteur comblait ainsi de ses bontés un ancien compagnon d’enfance, et cela pour l’amour d’elle seulement. Puis elle en vint à nous entretenir des mérites de plusieurs membres de sa famille qui n’attendaient qu’un peu d’aide pour remonter sur leur bête.

Tout ce temps-là sa fille Annie n’avait pas dit un mot, elle n’avait pas même levé les yeux. M. Wickfield l’avait suivie sans cesse du regard, assise comme elle était à côté de son