Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/302

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puis l’obtenir, sans quoi jet donnerai ma démission. Ce que j’ai enduré et ce que j’endure ici est intolérable. Et sans la prompte générosité de cet excellent homme, » dit mistress Markleham en répétant ses signes télégraphiques à l’adresse du docteur, et en repliant la lettre, «  l’idée seule m’en serait insupportable. »

M. Wickfield ne dit pas un mot, quoique la vieille dame semblât attendre ses commentaires sur ce qu’il venait d’entendre. Il gardait le silence d’un air sévère, et sans lever les yeux. On avait abandonné depuis longtemps cette affaire pour d’autres sujets de conversation, qu’il restait toujours dans la même attitude, se bornant à jeter de temps en temps, d’un air refrogné, un regard pensif sur la docteur ou sur sa femme, puis sur tous les deux ensemble.

Le docteur aimait la musique. Agnès chantait avec beaucoup d’agrément et d’expression, mistress Strong aussi. Elles chantèrent ensemble, puis se mirent à jouer des morceaux à quatre mains : c’était un petit concert. Mais je remarquai deux choses, d’abord quoique Annie se fut tout à fait remise, et qu’elle eût repris ses manières ordinaires, il y avait évidemment un abîme qui la séparait de M. Wickfield ; en second lieu, je vis que l’intimité de mistress Strong avec Agnès déplaisait à M. Wickfield, et qu’il la surveillait avec inquiétude. Je dois avouer aussi que le souvenir de ce que j’avais vu d’elle, le jour du départ de M. Jack Maldon, me revint à l’esprit avec une signification que je n’y avais jamais attachée et qui me troubla l’esprit. L’innocente beauté de son visage ne me paraissait pas aussi pure que par le passé ; je me défiais de la grâce naturelle et du charme de ses manières, et quand je regardais Agnès, assise auprès d’elle, quand je me rappelais l’honnête candeur de la jeune fille, je me disais en moi-même que c’était peut-être une amitié mal assortie.

Elles en jouissaient pourtant si vivement toutes deux que leur gaieté fit passer la soirée comme un instant. Il arriva, au moment du départ, un petit incident que je me rappelle bien. Elles prenaient congé lune de l’autre, et Agnès allait embrasser mistress Strong, quand M. Wickfleld passa entre elles, comme par accident, et emmena brusquement Agnès. Puis je revis sur le visage de mistress Strong cette expression que j’avais remarquée le soir du départ de son cousin, et je me crus encore debout à la porte du docteur Strong. C’était bien comme cela qu’elle l’avait regardé ce soir-là.