Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/317

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« Elle a gardé cette marque depuis lors comme vous voyez, dit Steerforth et elle l’emportera dans son tombeau, si tant est qu’elle puisse jamais se reposer dans un tombeau, car je doute qu’elle prenne jamais de repos nulle part. Elle était fille d’un cousin éloigné de mon père ; elle avait perdu sa mère quand son père mourut aussi ; ma mère, qui était déjà veuve, la prit chez elle pour lui tenir compagnie. Elle a une couple de mille livres sterling à elle, dont elle économise tous les ans le revenu pour l’ajouter au capital. Vous voilà au courant de l’histoire de miss Rosa Dartle.

— Et naturellement elle vous regarde comme un frère ?

— Oh ! dit Steerforth en contemptant le feu, il y a des frères qui ne sont pas l’objet d’une affection bien vive, il y en a d’autres qui s’aiment. Mais servez-vous donc, Copperfield ; nous allons boire à la santé des marguerites des champs en votre honneur, et à celle des lis de la vallée qui ne travaillent ni ne filent, en souvenir de moi… car je ne peux pas dire en mon honneur. »

Un sourire moqueur qui errait sur ses lèvres depuis un moment disparut quand il prononça ces paroles, et il reprit toute sa grâce et sa franchise accoutumées.

Je ne pus m’empêcher de regarder la cicatrice avec un pénible intérêt, en entrant dans le salon pour prendre le thé. J’aperçus bientôt que c’était la partie la plus sensible de son visage, et que lorsqu’elle pâlissait, cette cicatrice changeait aussi de couleur et devenait une raie grise et plombée, qu’on distinguait alors dans toute son étendue comme une ligne d’encre sympathique, quand on l’expose à la chaleur du feu. En jouant au trictrac avec Steerforth, il s’éleva entre eux une petite discussion qui excita chez elle un instant de violente colère, et je vis la cicatrice se dessiner tout à coup comme les paroles mystérieuses écrites sur la muraille au festin de Balthazar.

Je ne fus pas étonné de voir mistress Steertorth absorbée par son affection pour son fils. Elle semblait ne pouvoir ni s’occuper ni parler d’autre chose ; elle me montra un médaillon contenant sa miniature avec une boucle des cheveux de sa première enfance, puis un autre portrait de lui à l’âge où je l’avais vu d’abord ; elle portait sur son sein un troisième portrait tout récent. Elle conservait, dans un bureau placé près de son fauteuil, toutes les lettres qu’il lui avait écrites ; elle m’en aurait volontiers lu quelques-unes, et j’aurais été ravi