Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/318

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de les écouter, mais Steerforth intervint et lui demanda en grâce de n’en rien faire.

« C’est chez M. Creakle que vous avez fait la connaissance de mon fils, à ce qu’il paraît, me dit mistress Steerforth, en causant avec moi pendant la partie de trictrac de Steerforth et de miss Dartle. Je me souviens bien qu’il m’avait parlé, dans ce temps-là, d’un élève plus jeune que lui qui lui avait plu, mais votre nom s’était naturellement effacé de ma mémoire.

— Il a été plein de bonté et de générosité pour moi dans ce temps-là, madame, et je vous assure que j’avais grand besoin d’un ami pareil : j’aurais été bien opprimé sans lui.

— Il a toujours été bon et généreux » dit-elle avec fierté.

Personne ne reconnaissait mieux que moi la vérité de cet éloge, Dieu le sait. Elle le savait aussi, et la hauteur de ses manières s’humanisait déjà pour moi, excepté pourtant lorsqu’elle louait son fils, car alors elle reprenait toujours son air de fierté.

« Ce n’était pas une pension convenable pour mon fils, dit-elle : loin de là ; mais il y avait alors à considérer des circonstances particulières plus importantes encore que le choix des maîtres. L’esprit indépendant de mon fils rendait indispensable qu’il fût placé chez un homme qui sentît sa supériorité et qui consentît à s’incliner devant lui : nous avons trouvé chez M. Creakle ce qu’il nous fallait. »

Elle ne m’apprenait rien : je connaissais l’homme, mais je n’en méprisais pas plus M. Creakle pour cela ; il me semblait assez excusable de n’avoir pas au résister au charme irrésistible de Steerforth.

« Mon fils a été poussé, dans cette maison, à appliquer ses grandes facultés, par un sentiment d’émulation volontaire et d’orgueil naturel, continua-t-elle ; il se serait révolté contre toute contrainte, mais là il se sentait souverain maître et seigneur, et il prit le parti d’être digne en tout de sa situation ; je n’attendais pas moins de lui. »

Je répondis avec elle de toute mon âme, que je le reconnaissais bien là.

« Mon fils prit donc alors, de sa propre volonté et sans aucune contrainte, la tête de l’institution, comme il fera toujours chaque fois qu’il se mettra dans l’esprit de dépasser ses concurrents, continua-t-elle ; mon fils m’a dit, monsieur Copperfield, que vous lui étiez dévoué, et qu’hier, en le rencontrant, vous vous êtes rappelé à son souvenir avec des larmes