Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/322

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fusse levé, et m’apporta de l’eau pour ma barbe (cruel souvenir !), et se mit à sortir mes habits. Quand j’ouvris les rideaux du lit pour le regarder, je le vis toujours à la même température de convenance (car le vent d’est du mois de janvier ne le faisait pas descendre d’un degré : il n’en avait pas même l’haleine refroidie pour cela), plaçant mes bottes à droite et à gauche, dans la première position de la danse, et soufflant délicatement sur ma redingote pour faire disparaître quelques grains de poussière, puis la recouchant sur le sopha avec le même soin que si ce fût un enfant endormi.

Je lui souhaitai le bonjour, en demandant quelle heure il était. Il tira de sa poche la montre de chasse la plus convenable, que j’eusse jamais vue, l’ouvrit à demi, en maintenant le ressort de la butte avec son pouce, la regarda comme s’il consultait une huître prophétique, la referma et m’apprit qu’il était huit heures et demie.

« M. Steerforth sera bien aise de savoir si vous avez bien dormi, monsieur !

— Merci, lui dis-je, j’ai très-bien dormi. M. Steerforth va bien ?

— Merci, monsieur, M. Steerforth va assez bien. »

Un autre trait caractéristique de Littimer consistait dans le soin avec lequel il évitait tous les superlatifs, gardant toujours un juste milieu, froid et calme.

« Y a-t-il encore quelque chose que je puisse avoir l’honneur de faire pour monsieur ? La première cloche sonne à neuf heures, la famille déjeune à neuf heures et demie.

— Non, rien, merci.

— C’est moi qui remercie, monsieur, s’il vent bien le permettre ; » et, sur ces mots, il passa près de mon lit avec une légère inclination de tête, comme s’il me demandait pardon d’avoir corrigé mes paroles, et il sortit en fermant la porte aussi doucement que si je venais de tomber dans un léger sommeil dont ma vie dépendait.

Tous les matins cette conversation se répétait entre nous, ni plus, ni moins, et cependant, quelques progrès que j’eusse pu faire dans ma propre estime la veille au soir, quelque espérance d’une maturité prochaine qu’eussent pu me faire concevoir l’intimité de Steerforth, la confiance de mistress Steerforth ou la conversation de miss Dartle, sitôt que je me trouvais en présence de cet homme respectable, je redevenais à l’instant même un petit garçon.