Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/413

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ce que j’avais appris. Si je m’endormais un moment, l’image d’Agnès avec ses yeux si doux, et celle de son père la regardant tendrement, s’élevaient devant moi, pour me supplier de venir à leur aide, et me remplissaient de vagues terreurs. Chaque fois que je me réveillais, l’idée qu’Uriah dormait dans la chambre à côté m’oppressait comme un cauchemar, et je me sentais sur le cœur un poids de plomb ; j’avais pour d’avoir pris pour locataire un démon de la plus vile espèce.

Les pincettes me revenaient aussi à l’esprit dans mon sommeil, sans que je pusse m’en débarrasser. Il me semblait, tandis que j’étais à demi endormi et à demi éveillé, qu’elles étaient encore toutes rouges, et que je venais de les saisir pour les lui passer au travers du corps. Cette idée me poursuivait tellement, quoique sachant bien qu’elle n’avait aucune solidité, que je me glissai dans la pièce voisine pour m’assurer qu’il y était bien en effet, couché sur le dos, ses jambes étendues jusqu’au bout de la chambre ; il ronflait ; il avait un rhume de cerveau et sa bouche était ouverte comme une boîte aux lettres ; enfin, il était en réalité beaucoup plus affreux que mon imagination malade ne l’avait rêvé, et mon dégoût même devint une sorte d’attraction qui m’obligeait à revenir à peu près toutes les demi-heures pour le regarder de nouveau. Aussi cette longue nuit me sembla plus lente et plus sombre que jamais, et le ciel chargé de nuages s’obstinait à ne laisser paraître aucune trace du jour.

Quand je le vis descendre de bonne heure, le lendemain matin (car, grâce au ciel, il refusa de rester à déjeuner), il me sembla que la nuit disparaissait avec lui ; mais en prenant le chemin de mon bureau, je recommandai particulièrement à mistress Crupp de laisser mes fenêtres ouvertes, pour donner de l’air à mon salon, et le purifier de toutes les souillures de sa présence.