Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/424

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chien qu’on appelait Jip, diminutif de Gipsy. Je l’approchai avec tendresse, car mon amour s’étendait jusqu’à lui, mais il me montra les dents, et il se réfugia sous une chaise en grognant, sans vouloir me permettre la plus légère familiarité.

Le jardin était frais et solitaire. Je me promenais en rêvant au bonheur que j’éprouverais si j’étais jamais fiancé à cette merveilleuse petite créature. Quant au mariage et à la fortune, je crois que j’étais presque aussi innocent de toute pensée de ce genre que dans le temps où j’aimais la petite Émilie. Être admis à l’appeler « Dora », à lui écrire, à l’aimer, à l’adorer, à croire qu’elle ne m’oubliait pas, même lorsqu’elle était entourée d’autres amis, c’était pour moi le nec plus ultra de l’ambition humaine de la mienne au moins, bien certainement. Il n’y a pas de doute que je ne fusse alors un pauvre garçon ridicule et sentimental, mais ces sentiments annonçaient une pureté de cœur qui m’empêche d’en mépriser absolument le souvenir, quelque risible qu’il me semble aujourd’hui.

Je ne me promenais pas depuis bien longtemps quand, au détour d’une allée, je la rencontrai. Je rougis encore des pieds à la tête en tournant, par souvenir, le coin de cette allée, et la plume tremble entre mes doigts.

« Vous… sortez de bien bonne heure, miss Spenlow, lui dis-je.

— Oh ! je m’ennuie à la maison, dit-elle, et miss Murdstone est si absurde ! Elle a les idées les plus étranges sur la nécessité que l’atmosphère soit bien purifiée avant que je sorte. Purifiée ! » Ici elle se mit à éclater du rire le plus mélodieux. « Le dimanche matin je ne joue pas du piano. Il faut bien faire quelque chose. Aussi j’ai dit à papa hier soir que j’étais décidée à sortir. Et puis, c’est le plus beau moment de la journée. N’est-ce pas ? »

Là-dessus je pris mon vol à l’étourdie et je lui dis ou plutôt je balbutiai que le temps me paraissait magnifique pour le moment, quoique je le trouvasse bien sombre il n’y avait pas plus d’une minute.

« Est-ce un compliment, dit Dora, ou si le temps est réellement changé ? »

Je répondis en balbutiant plus que jamais que ce n’était pas un compliment mais la vérité pure, quoique je ne me fusse pas aperçu du moindre changement dans le temps. Je parlais