Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/425

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seulement de celui que j’éprouvais dans mes sentiments, ajoutai-je timidement pour achever l’explication.

Je n’ai jamais vu de boucles pareilles à celles qu’elle secoua alors pour cacher sa rougeur, et ce n’est pas étonnant, il n’y en a jamais eu de semblables au monde ! Quant au chapeau de paille et aux rubans bleus qui couronnaient ces bagues, quel trésor inestimable à suspendre dans ma chambre de Buckingham-Street, si je les avais eus en ma possession !

« Vous arrivez de Paris ? lui dis-je.

— Oui, répondit-elle. Y avez-vous jamais été ?

— Non.

— Oh ! J’espère pour vous que vous irez bientôt. Cela vous amusera tant ! »

Ma physionomie exprimait une profonde souffrance. Il m’était insupportable de penser qu’elle espérait me voir aller à Paris, qu’elle supposait que je pusse avoir l’idée d’y aller. Je me moquais bien de Paris ; je me moquais bien de la France ! II me serait impossible, dans les circonstances présentes, de quitter l’Angleterre pour tous les trésors du monde. Rien ne pourrait m’y décider. Bref, j’en dis tant qu’elle recommençait à se voiler de ses boucles, quand le petit chien arriva en courant le long de l’allée, à notre grand soulagement.

Il était horriblement jaloux de moi, et s’obstinait à m’aboyer dans les jambes. Elle le prit dans ses bras, oh ciel ! et le caressa, sans qu’il cessât d’aboyer. Il ne voulait pas me laisser le toucher, et, alors elle le battait ; mes souffrances redoublaient en voyant les jolies petites tapes qu’elle lui donnait sur le museau pour le punir, pendant qu’il clignait des yeux et lui léchait la main, tout en continuant de grommeler entre ses dents d’une voix de basse-taille. Enfin il se calma (je crois bien avec ce petit menton à fossettes appuyé sur son museau !) et nous prîmes le chemin de la serre.

« Vous n’êtes pas très-lié avec miss Murdstone, n’est-ce pas ? dit Dora… Mon chéri ! (Ces deux derniers mots s’adressaient au chien. Oh ! si c’eût été seulement à moi !)

— Non, répliquai-je, pas du tout.

— Elle est bien ennuyeuse, reprit-elle en faisant la moue. Je ne sais pas à quoi papa peut avoir pensé d’aller prendre quelqu’un d’aussi insupportable pour me tenir compagnie. Ne semble-t-il pas qu’on ait besoin d’être protégée ! Ce n’est pas moi toujours. Jip est un bien meilleur protecteur que miss Murdstone : n’est-ce pas, Jip, mon amour ? »