Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/427

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marche ! nous emboîtâmes le pas pour la salle à manger, comme si nous allions à l’enterrement d’un militaire.

Je ne sais pas le nombre de tasses de thé que j’acceptai, parce que c’était Dora qui l’avait fait, mais je me souviens parfaitement que j’en consommai tant que j’aurais dû détruire à jamais mon système nerveux, si j’avais eu des nerfs dans ce temps-là. (Un peu plus tard, nous nous rendîmes à l’église, miss Murdstone se plaça entre nous deux, mais j’entendais chanter Dora, et je ne voyais plus la congrégation. On fit un sermon… sur Dora, naturellement,… et voilà j’en ai peur, tout ce que je retirai du service divin.

La journée se passa paisiblement. Il ne vint personne ; on alla se promener, puis on dîna en famille, et nous passâmes la soirée à regarder des livres et des gravures. Miss Murdstone une homélie devant elle et l’œil sur nous, montait la garde avec vigilance. Ah ! M. Spenlow ne se doutait guère, lorsqu’il était assis en face de moi après le dîner, avec son foulard sur la tête, de l’ardeur avec laquelle, je le serrais en imagination dans mes bras, comme le plus tendre des gendres. II ne se doutait guère, lorsque je pris congé de lui, le soir, qu’il venait de donner son consentement à mes fiançailles avec Dora, et que j’appelais en retour les bénédictions du ciel sur sa tête !

Nous partîmes de bonne heure le lendemain, car il y avait une affaire de sauvetage qui se présentait devant la Cour de l’amirauté et qui exigeait une connaissance assez exacte de toute la science de la navigation ; or, comme naturellement nous n’étions pas très-habiles sur cette matière à la Cour, le juge avait prié deux vieux Trinity-Masters d’avoir la charité de venir à son aide. Dora non moins matinale était déjà à table pour nous faire le thé, et j’eus le triste plaisir de lui ôter mon chapeau du haut du phaéton, pendant qu’elle se tenait sur le seuil de la porte avec Jip dans ses bras.

Je ne tenterai point d’inutiles efforts pour dépeindre ce que la Cour de l’amirauté me représenta ce jour-là, ni la confusion de mon esprit à l’endroit de l’affaire qui s’y traitait, je ne raconterai pas comment je lisais le nom de Dora inscrit sur la rame d’argent déposée sur la table comme emblème de notre haute juridiction, ni ce que je sentis quand M. Spenlow retourna chez lui sans moi (j’avais formé l’espoir insensé qu’il m’y ramènerait peut-être) : il me semblait que j’étais un matelot abandonné sur une île déserte par son vaisseau. Si cette