Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/195

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ou trois fois la chambre, puis il se rapprocha de l’endroit où était son fauteuil, et s’appuya sur le dossier, enfin, essuyant de temps en temps ses larmes, il nous dit avec une droiture simple qui lui faisait, selon moi, beaucoup plus d’honneur que s’il avait cherché à cacher son émotion :

« J’ai eu de grands torts. Je crois, sincèrement que j’ai eu de grands torts. J’ai exposé une personne qui tient la première place dans mon cœur, à des difficultés et à des soupçons dont, sans moi, elle n’aurait jamais été l’objet. »

Uriah Heep fit entendre une sorte de reniflement : je suppose que c’était pour exprimer sa sympathie.

« Jamais, sans moi, dit le docteur, mon Annie n’aurait été exposée à de tels soupçons. Je suis vieux, messieurs, vous le savez ; je sens, ce soir, que je n’ai plus guère de liens qui me rattachent à la vie. Mais, je réponds sur ma vie, oui, sur ma vie, de la fidélité et de l’honneur de la chère femme qui a été le sujet de cette conversation ! »

Je ne crois pas qu’on eût pu trouver ni parmi les plus nobles chevaliers, ni parmi les plus beaux types inventés jamais par l’imagination des peintres, un vieillard capable de parler avec une dignité plus émouvante que ce bon vieux docteur.

« Mais, continua-t-il, si j’ai pu me faire illusion auparavant là-dessus, je ne puis me dissimuler maintenant, en y réfléchissant, que c’est moi qui ai eu le tort de faire tomber cette jeune femme dans les dangers d’un mariage imprudent et funeste. Je n’ai pas l’habitude de remarquer ce qui se passe, et je suis forcé de croire que les observations de diverses personnes, d’âge et de position différentes, qui, toutes, ont cru voir la même chose, valent naturellement mieux que mon aveugle confiance. »

J’avais souvent admiré, je l’ai déjà dit, la bienveillance de ses manières envers sa jeune femme, mais, à mes yeux, rien ne pouvait être plus touchant que la tendresse respectueuse avec laquelle il parlait d’elle dans cette occasion, et la noble assurance avec laquelle il rejetait loin de lui le plus léger doute sur sa fidélité.

« J’ai épousé cette jeune femme, dit le docteur, quand elle était encore presque enfant. Je l’ai prise avant que son caractère fût seulement formé. Les progrès qu’elle avait pu faire, j’avais eu le bonheur d’y contribuer. Je connaissais beaucoup son père ; je la connaissais beaucoup elle-même. Je lui avais enseigné tout ce que j’avais pu, par amour pour ses