Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/200

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J’appris, le lundi matin, qu’il était allé à Londres se faire arracher une dent. J’espère bien que c’était une grosse dent.

Le docteur nous avait fait dire qu’il n’était pas bien, et resta seul, pendant une grande partie du temps que dura encore notre séjour. Agnès et son père étaient partis depuis une huitaine, quand nous reprîmes notre travail accoutumé. La veille du jour où nous nous remîmes à l’œuvre, le docteur me donna lui-même un billet qui n’était pas cacheté, et qui m’était adressé. Il m’y suppliait, dans les termes les plus affectueux, de ne jamais faire allusion au sujet de la conversation qui avait eu lieu entre nous quelques jours auparavant. Je l’avais confié à ma tante, mais je n’en avais rien dit à personne autre. C’était une question que je ne pouvais pas discuter avec Agnès ; et elle n’avait certainement pas le plus léger soupçon de ce qui s’était passé.

Mistress Strong ne s’en doutait pas non plus, j’en suis convaincu. Plusieurs semaines s’écoulèrent avant que je visse en elle le moindre changement. Cela vint lentement, comme un nuage, quand il n’y a pas de vent. D’abord, elle sembla s’étonner de la tendre compassion avec laquelle le docteur lui parlait, et du désir qu’il lui exprimait qu’elle fît venir sa mère auprès d’elle, pour rompre un peu la monotonie de sa vie. Souvent, quand nous étions au travail et qu’elle était assise près de nous, je la voyais s’arrêter pour regarder son mari, avec une expression d’étonnement et d’inquiétude. Puis, je la voyais quelquefois se lever et sortir de la chambre, les yeux pleins de larmes. Peu à peu, une ombre de tristesse vint planer sur son beau visage, et cette tristesse augmentait chaque jour. Mistress Markleham était installée chez le docteur, mais elle parlait tant qu’elle n’avait le temps de rien voir.

À mesure qu’Annie changeait ainsi, elle qui jadis était comme un rayon de soleil dans la maison du docteur, le docteur devenait plus vieux d’apparence, et plus grave ; mais la douceur de son caractère, la tranquille bonté de ses manières, et sa bienveillante sollicitude pour elle, avaient encore augmenté, si c’était possible. Je le vis encore une fois, le matin de l’anniversaire de sa femme, s’approcher de la fenêtre où elle était assise pendant que nous travaillions (c’était jadis son habitude, mais maintenant elle ne prenait cette place que d’un air timide et incertain qui me fendait le cœur) il prit la tête d’Annie entre ses main, l’embrassa, et s’éloigna rapidement, pour lui cacher son émotion. Je la vis rester immobile,