Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/21

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surtout si on frappe doucement, n’allez pas ouvrir vous-même. Que ce soit elle, et mon pas vous, qui voie d’abord ma pauvre enfant ! »

Il fit quelques pas et marcha devant nous un moment. Durant cet intervalle, je jetai encore les yeux sur Ham et voyant la morne expression sur son visage, avec son regard toujours fixé sur la lueur lointaine, je lui touchai le bras.

Je l’appelai deux fois par son nom, comme si j’eusse voulu réveiller un homme endormi, sans qu’il fît seulement attention à moi. Quand je lui demandai enfin à quoi il pensait, il me répondit :

« À ce que j’ai devant moi, M. David, et par delà.

— À la vie qui s’ouvre devant vous, vous voulez dire ? »

Il m’avait vaguement montré la mer.

« Oui, M. David. Je ne sais pas bien ce que c’est, mais il me semble… que c’est tout là-bas que viendra la fin. » Et il me regardait comme un homme qui se réveille, mais avec le même air résolu.

« La fin de quoi ? demandai-je en sentant renaître mes craintes.

— Je ne sais pas, dit-il d’un air pensif. Je me rappelais que c’est ici que tout a commencé et… naturellement je pensais que c’est ici que tout doit finir. Mais n’en parlons plus, M. David, ajouta-t-il en répondant, je pense, à mon regard, n’ayez pas peur : c’est que, voyez-vous, je suis si barbouillé, il me semble que je ne sais pas… » et, en effet, il ne savait pas où il en était et son esprit était dans la plus grande confusion.

M. Peggotty s’arrêta pour nous laisser le temps de le rejoindre et nous en restâmes là ; mais le souvenir de mes premières craintes me revint plus d’une fois, jusqu’au jour où l’inexorable fin arriva au temps marqué.

Nous nous étions insensiblement rapprochés du vieux bateau. Nous entrâmes : mistress Gummidge, au lieu de se lamenter dans son coin accoutumé, était tout occupée de préparer le déjeuner. Elle prit le chapeau de M. Peggotty, et lui rapprocha une chaise en lui parlant avec tant de douceur et de bon sens que je ne la reconnaissais plus.

« Allons, Daniel, mon brave homme, disait-elle, il faut manger et boire pour conserver vos forces, sans cela vous ne pourriez rien faire ! Allons, un petit effort de courage, mon brave homme, et si je vous gêne avec mon caquet, vous n’avez qu’à le dire, Daniel, et ce sera fini. »