Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/225

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des ombres du passé et de tourner vers moi son charmant visage, et je puis assurer que son petit discours résonnait sans cesse dans mon cœur. Je n’en ai peut-être pu tiré le meilleur parti possible, j’étais jeune et sans expérience ; mais jamais son innocente prière n’est venue frapper en vain mon oreille. Dora me dit, quelques jours après, qu’elle allait devenir une excellente femme de ménage. En conséquence, elle sortit du tiroir son ardoise, tailla son crayon, acheta un immense livre de comptes, rattacha soigneusement toutes les feuilles du livre de cuisine que Jip avait déchirées, et fit un effort désespéré « pour être sage, » comme elle disait. Mais les chiffres avaient toujours le même défaut : ils ne voulaient pas se laisser additionner. Quand elle avait accompli deux ou trois colonnes de son livre de comptes, et ce n’était pas sans peine, Jip venait se promener sur la page et barbouiller tout avec sa queue ; et puis, elle imbibait d’encre son joli doigt jusqu’à l’os : c’est ce qu’il y avait de plus clair dans l’affaire.

Quelquefois le soir, quand j’étais rentré et à l’ouvrage (car j’écrivais beaucoup et je commençais à me faire un nom comme auteur), je posais ma plume et j’observais ma femme-enfant qui tachait « d’être sage. » D’abord elle posait sur la table son immense livre de comptes, et poussait un profond soupir ; puis elle l’ouvrait à l’endroit effacé par Jip la veille au soir, et appelait Jip pour lui montrer les traces de son crime : c’était le signal d’une diversion en faveur de Jip, et on lui mettait de l’encre sur le bout du nez, comme châtiment. Ensuite elle disait à Jip de se coucher sur la table, « tout de suite, comme un lion, » c’était un de ses tours de force, bien qu’à mes yeux l’analogie ne fût pas frappante. S’il était de bonne humeur, Jip obéissait. Alors elle prenait une plume et commençait à écrire, mais il y avait un cheveu dans sa plume ; elle en prenait donc une autre et commençait à écrire ; mais celle-là faisait des pâtés ; alors elle en prenait une troisième et recommençait à écrire, en se disant à voix basse : « Oh ! mais, celle-là grince, elle va déranger David ! » Bref, elle finissait par y renoncer et par reporter le livre de comptes à sa place, après avoir fait mine de le jeter à la tête du lion.

Une autre fois, quand elle se sentait d’humeur plus grave, elle prenait son ardoise et un petit panier plein de notes et d’autres documents qui ressemblaient plus à des papillotes qu’à toute autre chose, et elle essayait d’en tirer un résultat quelconque. Elle les comparait très-sérieusement, elle posait