Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/226

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sur l’ardoise des chiffres qu’elle effaçait, elle comptait dans tous les sens les doigts de sa main gauche, après quoi elle avait l’air ai vexé, si découragé et si malheureux que j’avais du chagrin de voir s’assombrir, pour me satisfaire, ce charmant petit visage ; alors je m’approchais d’elle tout doucement, et je lui disais :

« Qu’est-ce que vous avez, Dora ? »

Elle me regardait d’un air désolé et répondait : « Ce sont. ces vilains comptes qui ne veulent pas aller comme il faut ; j’en ai la migraine : ils s’obstinent à ne pas faire ce que je veux ! »

Alors je lui disais : « Essayons un peu ensemble ; je vais vous montrer, ma Dora. »

Puis je commençais une démonstration pratique ; Dora m’écoutait pendant cinq minutes avec la plus profonde attention, auprès quoi elle commençait à se sentir horriblement fatiguée, et cherchait à s’égayer en roulant mes cheveux autour de ses doigts, ou en rabattant le col de ma chemise pour voir si cela m’allait bien. Quand je voulais un peu réprimer son enjouement et que je continuais mes raisonnements, elle avait l’air si désolé et si effarouché, que je me rappelais tout à coup comme un reproche, en la voyant si triste, sa gaieté naturelle le jour où je l’avais vue pour la première fois : je laissais tomber le crayon en me répétant que c’était une femme-enfant, et je la priais de prendre sa guitare.

J’avais beaucoup à travailler et de nombreux soucis, mais je gardais tout cela pour moi. Je suis loin de croire maintenant que j’aie eu raison d’agir ainsi, mais je le faisais par tendresse pour ma femme-enfant. J’examine mon cœur, et c’est sans la moindre réserve que je confie à ces pages mes plus secrètes pensées. Je sentais bien qu’il me manquait quelque chose, mais cela n’allait pas jusqu’à altérer le bonheur de ma vie. Quand je me promenais seul par un beau soleil, et que je songeais aux jours d’été où la terre entière semblait remplie de ma jeune passion, je sentais que mes rêves ne s’étaient pas parfaitement réalisés, mais je croyais que ce n’était qu’une ombre adoucie de la douce gloire du passé. « Parfois je me disais bien que j’aurais préféré trouver chez ma femme un conseiller plus sûr, plus de raison, de fermeté et de caractère ; j’aurais désiré qu’elle pût me soutenir et m’aider, qu’elle possédât le pouvoir de combler les lacunes que je sentais en moi, mais je me disais aussi qu’un tel bonheur n’était pas de ce monde, et qu’il ne devait pas, ne pouvait pas exister.