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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/254

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redevenir sa proie. Ainsi donc nous avons le même intérêt, et voilà pourquoi, moi qui voudrais lui faire tout le mal auquel peut être sensible une si méprisable créature, je vous ai prié de venir entendre ce que vous avez entendu. »

Je vis, au changement de son expression, que quelqu’un s’avançait derrière moi. C’était mistress Steerforth qui me tendit la main plus froidement que de coutume, et d’un air plus solennel encore qu’autrefois ; mais pourtant je m’aperçus, non sans émotion qu’elle ne pouvait oublier ma vieille amitié pour son fils. Elle était très-changée. Sa noble taille s’était courbée, de profondes rides sillonnaient son beau visage, et ses cheveux étaient presque blancs, mais elle était encore belle, et je retrouvais en elle les yeux étincelants et l’air imposant qui jadis faisaient l’admiration de mes rêves enfantins à la pension.

« Monsieur Copperfield sait-il tout, Rosa ?

— Oui.

— Il a vu Littimer ?

— Oui ; et je lui ai dit pourquoi vous en aviez exprimé le désir.

— Vous êtes une bonne fille. J’ai eu, depuis que je ne vous ai vu, quelques rapports avec votre ancien ami, monsieur, dit-elle en s’adressant à moi ; mais il n’est pas encore revenu au sentiment de son devoir envers moi. Je n’ai d’autre objet en ceci que celui que Rosa vous a fait connaître. Si l’on peut en même temps consoler les peines du brave homme que vous m’avez amené, car je ne lui en veux pas, et c’est déjà beau de ma part et sauver mon fils du danger de retomber dans les piéges de cette intrigante, à la bonne heure ! »

Elle se redressa et s’assit en regardant droit devant elle, bien loin, bien loin.

« Madame, lui dis-je d’un ton respectueux, je comprends. Je vous assure que je n’ai nulle envie de vous attribuer d’autres motifs ; mais je dois vous dire, moi qui ai connu depuis mon enfance cette malheureuse famille, que vous vous méprenez. Si vous vous imaginez que cette pauvre fille, indignement traitée, n’a pas été cruellement trompée, et qu’elle n’aimerait pas mille fois mieux mourir que d’accepter aujourd’hui un verre d’eau de la main de votre fils, vous faites là une terrible méprise.

— Chut, Rosa ! chut ! dit mistress Steerforth, qui vit que sa compagne allait répliquer : c’est inutile, n’en parlons plus. On me dit, monsieur, que vous êtes marié ? »