Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/255

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Je répondis qu’en effet je m’étais marié l’année précédente.

« Et que vous réussissez ? je vis si loin du monde que je ne sais que peu de chose ; mais j’entends dire que vous commencez à devenir célèbre.

— J’ai eu beaucoup de bonheur, dis-je, et mon nom a déjà quelque réputation.

— Vous n’avez pas de mère ? dit-elle d’une voix plus douce.

— Non.

— C’est dommage, reprit-elle, elle aurait été fière de vous. Adieu. »

Je pris la main qu’elle me tendit avec une dignité mêlée de roideur ; elle était aussi calme de visage que si son âme avait été en repos. Son orgueil était assez fort pour imposer silence aux battements mêmes de son cœur, et pour abaisser sur sa face le voile d’insensibilité menteuse à travers lequel elle regardait, du siège où elle était assise, tout droit devant elle, bien loin, bien loin.

En m’éloignant d’elles le long de la terrasse, je ne pus m’empêcher de me retourner pour voir ces deux femmes dont les yeux restaient fixés sur l’horizon toujours plus sombre autour d’elles. Çà et là, on voyait scintiller quelques lueurs dans la lointaine cité, une clarté rougeâtre éclairait encore l’orient de ses reflets ; mais il s’élevait dans la vallée un brouillard qui se répandait comme la mer au milieu des ténèbres, pour envelopper dans ses replis ces deux statues vivantes que je venais de quitter. Je ne pus y songer sans épouvante, car lorsque je les revis, une mer en furie s’était véritablement soulevée sous leurs pieds.

En réfléchissant à ce que je venais d’entendre, je crus devoir en faire part à M. Peggotty. Le lendemain soir j’allai à Londres pour le voir. Il errait sans cesse d’une ville à l’autre, toujours uniquement préoccupé de la même idée ; mais il restait à Londres plus qu’ailleurs. Que de fois je l’ai vu au milieu des ombres de la nuit traverser les rues, pour découvrir parmi les rares ombres qui avaient l’air de chercher fortune à ces heures indues, ce qu’il redoutait de trouver !

Il avait loué une chambre au-dessus de la petite boutique du marchand de chandelles de Hungerford Market, dont j’ai déjà eu occasion de parler. C’était de là qu’il était parti la première fois, lorsqu’il entreprit son pieux pèlerinage. J’allai l’y chercher. On me dit qu’il n’était pas encore sorti, et que je le trouverais dans sa chambre.