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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/259

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— Que croyez-vous qu’il voulût dire ?

— Maître Davy, répondit-il, je me le suis demandé bien souvent et jamais je n’ai trouvé de réponse satisfaisante. Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’en dépit de toute sa douceur, je crois que jamais je n’oserais le lui demander ; jamais il ne m’a dit le plus petit mot qui s’écartât du respect le plus profond, et il n’est guère probable qu’il voulût commencer aujourd’hui ; mais ce n’est pas une eau tranquille que celle ou dorment de telles pensées. C’est une eau bien profonde, allez ! je ne peux pas voir ce qu’il y a au fond.

— Vous avez raison, lui dis-je, et c’est ce qui m’inquiète quelquefois.

— Et moi aussi, monsieur Davy, répliqua-t-il. Cela me tourmente encore plus, je vous assure, que ses goûts aventureux, et pourtant tout cela vient de la même source. Je ne puis dire à quelles extrémités il se porterait en pareil cas, mais j’espère que ces deux bommes ne se rencontreront jamais. »

Nous étions arrivés dans la Cité. Nous ne causions plus ; il marchait à côté de moi, absorbé dans une seule pensée, dans une préoccupation constante qui lui aurait fait trouver la solitude au milieu de la foule la plus bruyante. Nous n’étions pas loin du pont de Black-Friars, quand il tourna la tête pour me montrer du regard une femme qui marchait seule de l’autre côté de la rue. Je reconnus aussitôt celle que nous cherchions. Nous traversâmes la rue, et nous allions l’aborder, quand il me vint à l’esprit qu’elle serait peut-être plus disposée à nous laisser voir sa sympathie pour la malheureuse jeune fille, et nous lui parlions dans un endroit plus paisible, et loin de la foule. Je conseillai donc à mon compagnon de la suivre sans lui parler ; d’ailleurs, sans m’en rendre bien compte, je désirais savoir où elle allait.

Il y consentit, et nous la suivîmes de loin, sans jamais la perdre de vue, mais sans non plus l’approcher de très-près ; à chaque instant elle regardait de côté et d’autre. Une fois, elle s’arrêta pour écouter une troupe de musiciens. Nous nous arrêtâmes aussi.

Elle marchait toujours : nous la suivions. Il était évident qu’elle se rendait en un lieu déterminé ; cette circonstance, jointe au soin que je lui voyais prendre de continuer à suivre les rues populeuses, et peut-être une espèce de fascination étrange que m’inspirait cette mystérieuse poursuite, me confirmèrent de plus en plus dans ma résolution de ne point l’aborder.