Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/351

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— Je ne peux pas, David, et je ne le voudrais pas d’ailleurs. Mais cela ne m’empêche pas d’être très-heureuse, quoique j’éprouve de la peine à penser que mon cher mari se trouve bien seul, devant la place vide de sa femme-enfant. »

Cette fois, il fait nuit ; je suis toujours auprès d’elle. Agnès est arrivée ; elle a passé avec nous un jour entier. Nous sommes restés la matinée avec Dora : ma tante, elle et moi. Nous n’avons pas beaucoup causé, mais Dora a eu l’air parfaitement heureux et paisible. Maintenant nous sommes seuls.

Est-il bien vrai que ma femme-enfant va bientôt me quitter ! On me l’a dit ; hélas ! ce n’était pas nouveau pour mes craintes ; mais je veux en douter encore. Mon cœur se révolte contre cette pensée. Bien des fois, aujourd’hui je l’ai quittée pour aller pleurer à l’écart. Je me suis rappelé que Jésus pleura sur cette dernière séparation des vivants et des morts. J’ai repasse dans mon cœur cette histoire pleine de grâce et de miséricorde. J’ai cherché à me soumettre, à prendre courage ; mais, je le crains, sans y réussir tout à fait. Non, je ne peux admettre qu’elle touche à sa fin. Je tiens sa main dans les miennes ; son cœur repose sur le mien ; je vois son amour pour moi tout vivant encore. Je ne puis m’empêcher, me défendre d’une pâle et faible espérance qu’elle me sera conservée.

« Je veux vous parler, David. Je veux vous dire une chose que j’ai souvent pensé à vous dire, depuis quelque temps. Vous voulez bien ajouta-t-elle avec un doux regard.

— Oui, certainement, mon enfant. Pourquoi ne le voudrais-je pas ?

— Ah ! c’est que je ne sais pas ce que vous en penserez ; peut-être vous l’êtes-vous déjà dit vous-même ? peut-être l’avez- vous déjà pensé ? David, mon ami, je crois que j’étais trop jeune. »

Je pose ma tête près de la sienne sur l’oreiller ; elle plonge ses yeux dans les miens et me parle tout doucement. Petit à petit, à mesure qu’elle avance, je sens, le cœur brisé, qu’elle me parle d’elle-même comme au passé.

«  Je crois, mon ami, que j’étais trop jeune. Je ne parle pas seulement de mon âge, j’étais trop jeune d’expérience, de pensées, trop jeune en tout. J’étais une pauvre petite créature. Peut-être eût-il mieux valu que nous ne nous fussions aimés que comme des enfants, pour l’oublier ensuite ? Je commence à craindre que je ne fusse pas en état de faire une femme. »