Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/399

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fois, un air triste et désert, maintenant qu’ils en étaient partis.

Le surlendemain, dans l’après-midi, nous nous rendîmes à Gravesend, ma vieille bonne et moi ; nous trouvâmes le vaisseau environné d’une foule de barques, au milieu de la rivière. Levant était bon, le signal du départ flottait au haut du mât. Je louai Immédiatement une barque, et nous pénétrâmes à bord, à travers la confusion étourdissante à laquelle le navire était en proie.

M. Peggotty nous attendait sur le pont. Il me dit que M. Micawber venait d’être arrêté de nouveau (et pour la dernière fois), à la requête de M. Heep, et que, d’après mes instructions, il avait payé le montant de la dette, que je lui rendis aussitôt. Puis il nous fit descendre dans l’entre-pont, et là, se dissipèrent les craintes que j’avais pu concevoir, qu’il ne vînt à savoir ce qui s’était passé à Yarmouth. M. Micawber s’approcha de lui, lui prit le bras d’un air d’amitié et de protection, et me dit à voix basse que, depuis l’avant-veille, il ne l’avait pas quitté.

C’était pour moi un spectacle si étrange, l’obscurité me semblait si grande, et l’espace si resserré, qu’au premier abord, je ne pus me rendre compte de rien ; mais peu à peu mes yeux s’habituèrent à ces ténèbres, et je me crus au centre d’un tableau de Van Ostade. On apercevait au milieu des poutres, des agrès, des ralingues du navire, les hamacs, les malles, les caisses, les barils composant le bagage des émigrants ; quelques lanternes éclairaient la scène ; plus loin, la pâle lueur du jour pénétrait par une écoutille ou une manche à vent. Des groupes divers se pressaient en foule ; on faisait de nouveaux amis, on prenait congé des anciens, on parlait, on riait, on pleurait, on mangeait et on buvait ; les uns, déjà installés dans les quelques pieds de parquet qui leur étaient assignés, s’occupaient à disposer leurs effets, et plaçaient de petits enfants sur des tabourets ou dans leurs petites chaises ; d’autres, ne sachant où se caser, erraient d’un air désolé. Il y avait des enfants qui ne connaissaient encore la vie que depuis huit jours, et des vieillards voûtés qui semblaient ne plus avoir que huit jours à la connaître ; des laboureurs qui emportaient avec leurs bottes quelque motte du sol natal, et des forgerons, dont la peau allait donner au nouveau-monde un échantillon de la suie et de la fumée de l’Angleterre ; dans l’espace étroit de l’entre-pont, on avait trouvé