Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/398

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femme, mais je serais indigne de moi-même et de papa, si j’avais à me reprocher cette absurde faiblesse ! »

Dans sa profonde conviction qu’il n’y avait rien à répondre à ces arguments, mistress Micawber avait donné à son ton une élévation morale que je ne lui avais jamais connue auparavant.

« C’est pourquoi, dit-elle ; je souhaite d’autant plus que nous puissions revenir habiter un jour le sol natal ; M. Micawber sera peut-être, je ne saurais me dissimuler que cela est très-probable, M. Micawber sera un grand nom dans le livre de l’histoire, et ce sera le moment, pour lui, de reparaître glorieux dans la pays qui lui avait donné naissance, et qui n’avait pas su employer ses grandes facultés.

— Mon amour, repartit M. Micawber, il m’est impossible de ne pas être touché de votre affection ; je suis toujours prêt à m’en rapporter à votre bon jugement. Ce qui sera, sera ! Le ciel me préserve de jamais vouloir dérober à ma terre natale la moindre part des richesses qui pourront, un jour, s’accumuler sur nos descendants !

— C’est bien, dit ma tante, en se tournant vers M. Peggotty ; et je bois à votre santé à tous ; que toute sorte de bénédictions et de succès vous accompagnent ! »

M. Peggotty mit par terre les deux enfants qu’il tenait sur ses genoux, et se joignit à M. et à mistress Micawber pour boire, en retour, à notre santé ; puis les Micawber et lui se serrèrent cordialement la main, et en voyant un sourire venir illuminer son visage bronzé, je sentis qu’il saurait bien se tirer d’affaire, établir sa bonne renommée, et se faire aimer partout où il irait.

Les enfants eurent eux-mêmes la permission de tremper leur cuiller de bois dans le pot de M. Micawber, pour s’associer au vœu général ; après quoi ma tante et Agnès se levèrent et prirent congé des émigrants. Ce fut un douloureux moment. Tout le monde pleurait ; les enfants s’accrochaient à la robe d’Agnès, et nous laissâmes le pauvre M. Micawher dans un violent désespoir, pleurant et sanglotant à la lueur d’une seule bougie, dont la simple clarté, vue de la Tamise, devait donner à sa chambre l’apparence d’un pauvre fanal.

Le lendemain matin, j’allai m’assurer qu’ils étaient partis. Ils étaient montés dans la chaloupe à cinq heures du matin. Je compris quel vide laissent de tels adieux, en trouvant à la misérable petite auberge, où je ne les avais vus qu’une seule