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humeur et de ne jamais dire un mot plus haut l’un que l’autre, madame Richard, reprit Suzanne un peu radoucie ; je crois bien, leur enfant est soigné comme un prince, il est gâté, câliné jusqu’à en être ennuyé ; mais quand on accable une bonne petite créature qui ne se défend ni se plaint, c’est vraiment bien différent !… Ah ! bonté du ciel, mademoiselle Florence, si vous ne fermez bien vite les yeux, vilaine méchante petite fille, je vais appeler Croquemitaine qui est là-haut dans le grenier pour qu’il vous avale toute crue. »

Mlle  Nipper accompagna ces mots d’un horrible mugissement pour imiter un Croquemitaine de l’espèce bovine qui, ayant entendu l’appel, avait hâte de venir exécuter les tristes devoirs de sa charge. Suzanne calma ensuite l’enfant en lui cachant la figure sous le drap, et, après avoir donné deux ou trois coups à l’oreiller d’un air courroucé, elle croisa les bras et s’assit devant le feu qu’elle regarda sans bouger tout le reste de la soirée.

Le petit Paul qui avait déjà, comme disent les nourrices, beaucoup de connaissance pour son âge, prit aussi peu de connaissance de ce qui se passait là autour de lui que des préparatifs de son baptême, fixé au surlendemain. Ces préparatifs se faisaient cependant autour de lui en toute hâte ; on s’occupait de sa robe, de celle de sa sœur, et des vêtements de la nourrice et de Suzanne avec une grande activité. Le matin même du baptême, Paul sembla comprendre fort peu l’importance de la cérémonie ; il dormit au contraire plus que de coutume, et parut même trouver mauvais, contre son habitude, qu’on l’habillât pour sortir.

C’était un jour d’automne, gris de fer ; le vent soufflait de l’est, froid et pénétrant ; le temps était en harmonie avec les préparatifs. M. Dombey représentait le vent, l’ombre, l’automne du baptême. Il était dans son cabinet, attendant son monde, sombre et froid comme le temps, et quand il tournait ses yeux vers les arbres du petit jardin, leurs feuilles jaunes et noires se détachaient et voltigeaient, comme flétries et desséchées par son regard.

Ouf ! et les chambres, comme elles étaient sombres et froides ! elles semblaient être en deuil comme les habitants de la maison. Les livres soigneusement serrés sur leurs rayons par rang de taille, et alignés comme des soldats, paraissaient n’avoir, sous leurs uniformes durs, froids, glacés, qu’un sentiment, celui du froid. La bibliothèque vitrée, hermétiquement