Aller au contenu

Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remplir la place vacante. Aujourd’hui même, m’a-t-on dit, il a dû prendre l’habit. Le numéro de son fils, dit M. Dombey en se tournant vers sa sœur et parlant de l’enfant comme il eût fait d’un fiacre, est 147. Louisa, vous pouvez le lui dire.

— 147, dit Mme Chick. L’uniforme, Richard, est propre et chaud ; l’habit est à longs pans, en drap bleu, comme la casquette, le tout orné de galons jaune orange. Des bas de laine rouge tricotés, bien épais, et une forte culotte de peau. Vraiment, dit Mme Chick enthousiasmée, on porterait soi-même ces vêtements avec reconnaissance.

— Eh ! bien, Richard, dit miss Tox, vous devez être fière ! Les Charitables Rémouleurs !

— Monsieur, dit Richard d’une voix étouffée, je vous suis bien reconnaissante d’avoir pensé à mes petits enfants. »

Mais au même moment il lui sembla voir son petit Biler en charitable rémouleur, ses petites jambes emprisonnées dans le solide vêtement dépeint par Mme Chick et des larmes humectèrent ses yeux.

« Je suis heureuse, Richard, dit miss Tox, de voir que vous sentez ce que l’on a fait pour vous.

— Cela fait espérer, dit Mme Chick qui se flattait de connaître à fond la nature humaine, qu’on peut encore trouver dans le monde quelque étincelle de reconnaissance et de sensibilité. »

Richard répondit à ces compliments en faisant une révérence et en balbutiant quelques mots de remercîments ; mais comme l’image de son premier-né, mis en culotte courte dans un âge si tendre, lui troublait l’esprit, elle s’approcha insensiblement de la porte et fut tout heureuse de se trouver dehors.

L’espèce de dégel qu’avait produit son entrée ne dura pas longtemps ; le froid reprit bientôt, plus vif et plus piquant, lorsqu’elle eut disparu. Deux ou trois fois, M. Chick, au bout de la table, fredonna les premières mesures d’un grand air ; ce n’était plus son joyeux refrain accoutumé, mais bien un morceau de la Marche funèbre de Saül. La société évidemment allait passer à l’état de glaçons, comme tous les mets disposés sur la table. Mme Chick lança un coup d’œil à miss Tox, celle-ci le lui rendit, et toutes deux, s’étant levées en même temps, trouvèrent qu’il était l’heure de se retirer. M. Dombey reçut cet avis avec une parfaite égalité d’humeur.

Elles prirent congé de lui et sortirent sous la protection de M. Chick. On n’eut pas plutôt quitté la maison où M. Dombey