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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/111

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ker, malgré ses démonstrations de politesse, étaient tous deux occupés à surveiller M. Dombey et Edith. Leurs talents de conversation ne leur servaient guère, car ils ne se disaient presque rien et parlaient un peu à l’aventure.

« Nous n’avons positivement plus de foi, dit Mme Skewton en tournant de côté sa vieille oreille ridée, (car M. Dombey était en train de dire quelque chose à Edith). Nous n’avons plus du tout de ces chers et vieux barons, qui étaient les créatures les plus délicieuses ; ni de ces chers et vieux prêtres, qui étaient les plus belliqueux des hommes, ni la foi de l’âge d’or de l’inestimable reine Élisabeth dont voici le portrait. Cette chère créature, en voilà une qui était tout cœur ! et son charmant père ! J’espère que vous avez un faible pour Henri VIII ?

— Je l’admire beaucoup, dit Carker.

— À la bonne heure ! voilà un rude homme ! s’écria Mme Skewton, n’est-ce pas ? un fidèle et véritable Anglais. Le voilà ici ! c’est tout à fait son portrait, avec ses chers petits yeux clignotants et son menton bienveillant.

— Ah ! madame, dit M. Carker en s’arrêtant court ; puisque vous parlez de tableaux, voilà un joli sujet ! Quel musée au monde peut en montrer le pendant ? »

En disant ces mots, l’homme au sourire montra du doigt M. Dombey et Edith, seuls au milieu d’une pièce dont la porte était toute grande ouverte.

Ces deux personnages n’échangeaient ni parole, ni regard : à côté l’un de l’autre, au bras l’un de l’autre, on eût dit qu’ils étaient séparés par des mers. Il y avait une différence même dans l’orgueil de chacun d’eux, et cette différence était de telle nature qu’ils se seraient plus ressemblé, s’ils avaient été l’un le plus orgueilleux et l’autre le plus humble du monde. Lui, tout plein de son importance, roide, cérémonieux, austère ; elle, séduisante et gracieuse au dernier point, mais se souciant fort peu d’elle-même, de lui et de tout ce qui l’entourait et repoussant loin d’elle ses propres attraits avec un sentiment de fierté qu’exprimaient si bien ses sourcils et ses lèvres. On eût dit que ses attraits n’étaient qu’une enseigne, une livrée qu’elle haïssait ; ils étaient si mal assortis, si opposés, la nature de chacun d’eux était si violentée par cette union qu’avaient formée un mauvais hasard et la fatalité, qu’à voir sur les murailles tous ces tableaux qui les entouraient, les personnages sur la toile se montraient presque effrayés de cette union contre nature, et exprimaient cet effroi dans différentes attitudes. Des che-