Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/117

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tôt avec le major, tantôt avec Cléopatre, dont les yeux, plus pénétrants que ceux d’un lynx, surveillaient M. Dombey et Edith, joua si bien qu’il gagna encore dans l’estime de la mère. Quand il prit congé en exprimant le regret qu’il éprouvait d’être obligé de retourner à Londres le lendemain, Cléopatre lui dit en confidence qu’on ne rencontrait pas tous les jours une telle communauté de sentiments et que ce ne serait certainement pas la dernière fois qu’ils se reverraient.

« Je l’espère, répondit Carker, qui, l’œil fixé d’une manière expressive sur le couple, se retira vers la porte, à la suite du major. Je l’espère bien, » répéta-t-il en sortant.

M. Dombey, qui avait pris cérémonieusement congé d’Edith, se pencha ou parut se pencher au-dessus du lit de repos de Cléopatre et lui dit à voix basse :

« J’ai demandé à Mme Granger la liberté de lui faire une visite demain matin pour affaire et elle m’a fixé l’heure de midi. Puis-je espérer, madame, que j’aurai le plaisir de vous trouver chez vous ensuite ? »

Cléopatre était si émue, si troublée en entendant ces paroles de M. Dombey, paroles naturellement incompréhensibles, qu’elle ne put que fermer les yeux, secouer la tête et tendre la main à M. Dombey qui, ne sachant trop qu’en faire, la laissa retomber.

« Allons ! Dombey, venez donc, cria le major qui, déjà à la porte, le regardait dans la chambre. Parbleu, monsieur, le vieux Joe a grande envie de proposer un changement d’enseigne à l’Hôtel Royal et de l’appeler désormais l’Hôtel des Trois joyeux Célibataires, en l’honneur de Dombey, du major et de Carker. »

Là-dessus le major donna un petit coup sur le dos de M. Dombey, et envoyant une œillade rétrospective à ces dames par-dessus l’épaule, ce qui faillit lui démancher le cou, il l’entraîna dehors.

Mme Skewton reposait sur un sofa ; Edith était assise, loin d’elle, auprès de sa harpe et plongée dans le plus profond silence. Sa mère, jouant avec son éventail, regarda furtivement sa fille plus d’une fois, mais sa fille, absorbée dans ses rêveries, tenait les yeux baissés, muette et impassible.

Elles restèrent ainsi pendant une longue heure, sans dire un mot. Enfin, arriva la femme de chambre de Mme Skewton, qui, suivant l’usage, venait lui faire, petit à petit, sa toilette de nuit. Cette femme de chambre ressemblait à la mort :