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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/118

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il ne lui manquait plus qu’une faux et un sablier. Car, chaque soir, tout dépérissait sous sa main comme sous celle de la mort.

Les roses de la figure de Mme Skewton se flétrissaient, la rondeur de sa taille disparaissait, sa chevelure tombait, ses sourcils noirs arqués devenaient des touffes de poils gris, ses lèvres pâles rentraient dans sa bouche, la peau devenait livide et flasque ; une vieille décrépite, au teint jaune, à la tête branlante, aux yeux rouges, avait pris la place de Cléopatre, entortillée comme un paquet de linge sale dans une camisole de flanelle.

Sa voix même avait changé, quand, restée seule avec Edith, elle lui adressa la parole.

« Pourquoi, lui dit-elle d’un ton amer, ne m’avez-vous pas dit qu’il vous avait donné rendez-vous demain ?

— Parce que vous le savez, ma mère, » reprit Edith.

Il y avait dans sa manière de prononcer ces mots : ma mère, un ton de mordante raillerie.

« Vous savez bien qu’il m’a achetée, continua-t-elle, ou qu’il m’achètera demain. Il a réfléchi à son emplette ; il a montré l’objet en vente à ses amis ; il est fier de son marché ; il pense que cela fera son affaire, et qu’il m’a à bon compte ; c’est demain qu’il m’achètera. Oh ! mon Dieu ! dire que j’ai vécu pour cela et que je le sais ! »

Tout ce qu’il peut y avoir de colère et de fierté dans le cœur d’une femme outragée, qui a la conscience de son avilissement, éclata sur le beau visage d’Edith. Elle se cacha la tête dans ses mains blanches, convulsivement agitées.

« Que voulez-vous dire ? reprit sa mère vivement piquée… N’avez-vous pas depuis votre enfance…

— Depuis mon enfance ! dit Edith en la regardant, quand donc ai-je eu une enfance ? quelle enfance m’avez-vous jamais permise ? Je n’ai jamais été qu’une femme pleine d’artifice, rusée, vénale, occupée à tendre des piéges aux hommes. J’étais une femme avant de me connaître, avant de vous connaître vous-même, avant que je comprisse dans quelles vues basses et viles j’apprenais tous les jours un art nouveau. Quand vous m’avez mise au monde, j’étais déjà femme. Regardez-la cette femme, votre ouvrage. Vous la voyez ce soir dans toute sa gloire. »

En parlant ainsi, elle frappait son beau sein comme par mépris d’elle-même.