Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/12

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« Eh bien ? répéta-t-il avec aigreur.

— Je suis inquiet pour Henriette.

— Pour Henriette ? Henriette qui ?… Je ne connais personne de ce nom-là.

— Elle n’est pas bien : elle a beaucoup changé depuis quelque temps.

— Il y a longtemps, répliqua Carker le gérant, qu’elle a changé ; c’est tout ce que je puis dire.

— Si vous vouliez m’écouter.

— Vous écouter, frère John ? pourquoi ? »

Et en appuyant sur ces mots : frère John, il ne dissimulait pas une intention d’amère raillerie ; puis levant la tête, sans lever les yeux, il ajouta :

« Tout ce que j’ai à vous dire, c’est qu’Henriette Carker a fait son choix il y a longtemps entre ses deux frères. Elle s’en repent peut-être maintenant, mais il faut qu’elle en subisse les conséquences.

— Ne vous méprenez pas sur le sens de mes paroles : Je ne dis pas qu’elle se repent : ce serait une noire ingratitude de ma part que de dire pareille chose. Et pourtant, croyez-moi, James, je suis tout aussi désolé que vous du sacrifice qu’elle a fait.

— Que moi ? s’écria le gérant. Que moi ?

— Je veux dire que je suis aussi désolé de son choix, de ce que du moins vous appelez son choix, j’en suis aussi désolé que vous en êtes irrité.

— Irrité ? répliqua l’autre en montrant toutes ses dents.

— Sinon irrité, du moins mécontent. Mettez le mot que vous voudrez, vous savez ce que je veux dire. Je n’ai nullement l’intention de vous offenser.

— Vous m’offensez dans tout ce que vous faites, répondit le frère en lui lançant un regard menaçant (ce regard fit bientôt place à un sourire, ou plutôt à un mouvement de lèvres qui découvrit ses dents plus loin encore que la première fois) ; emportez ces papiers, s’il vous plaît, j’ai affaire. »

Sa patience glaciale était plus redoutable que sa colère ; aussi Carker le subalterne se dirigea-t-il du côté de la porte ; mais, s’arrêtant sur le seuil, et promenant ses regards autour de la chambre :

« Quand Henriette, dit-il, tenta vainement de plaider devant vous en ma faveur pour apaiser votre première et légitime indignation et justifier ma première faute ; quand elle vous dé-