Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/13

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laissa, James, pour suivre ma mauvaise fortune, et pour se consacrer dans son affection trompée, au service d’un frère ruiné qui, sans elle, était perdu, elle était jeune et belle alors. Si vous consentiez à la voir, si vous vouliez… elle exciterait à la fois votre admiration et votre pitié. »

James Carker pencha la tête en montrant ses dents, de l’air d’un homme qui va répondre à une nouvelle insignifiante : « Ah ! vraiment ? » mais il ne répondit rien.

« Nous pensions alors, vous et moi, qu’elle se marierait jeune, qu’elle aurait une vie heureuse et exempte de peines. Oh ! si vous aviez vu avec quelle gaieté elle renonçait à toutes ces belles espérances, avec quelle gaieté elle entrait dans cette nouvelle voie, pour ne plus jamais regarder derrière elle ; vous ne me diriez pas que son nom vous est maintenant inconnu. »

Le gérant pencha encore la tête, montra encore ses dents en ayant l’air de dire : « C’est curieux ! Vous me surprenez en vérité, » mais il ne dit rien.

« Puis-je continuer ? dit doucement John Carker.

— Votre route ? répliqua son frère en souriant ; si vous voulez avoir cette bonté. »

John Carker, poussant un soupir, se glissait lentement le long de la porte, lorsque la voix de son frère le rappela :

« Si elle marche gaiement dans la voie qu’elle a suivie, dit-il en jetant sur son pupitre la lettre qu’il n’avait pas encore dépliée, et en mettant brusquement ses mains dans ses poches, vous pouvez lui dire que je ne marche pas moins gaiement dans la mienne. Si elle n’a jamais regardé derrière elle, dites-lui que, moi, j’ai souvent regardé en arrière pour me rappeler qu’elle a pris votre défense, et répétez-lui que je suis aussi inébranlable qu’un bloc de marbre. »

Ces dernières paroles furent accompagnées d’un sourire mielleux.

« Je ne lui parle pas de vous. Jamais nous ne causons ensemble de vous. Une fois dans l’année, le jour de votre fête, Henriette dit toujours : Souvenons-nous de James et fasse le ciel qu’il soit heureux !… puis c’est fini.

— Eh bien ! si vous ne lui parlez pas de moi, répétez-vous à vous-même ce que je viens de vous dire ; vous ne le ferez jamais assez. Ce sera pour vous un avertissement de ne jamais prononcer son nom devant moi. Je ne connais pas d’Henriette Carker ; il n’y en a pas pour moi. Si vous, vous avez une sœur, tant mieux pour vous ! moi, je n’en ai pas. »