Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/123

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mais rien sans M. Carker, qu’il laisse tout à M. Carker, qu’il agit selon les désirs de M. Carker, qu’il a toujours M. Carker à ses côtés, et je crois qu’il croit, ce chiffon de Perch, qu’après votre papa, l’empereur de Chine n’est qu’un avorton auprès de M. Carker. »

Florence, comme réveillée par ce que lui disait Suzanne, n’avait pas perdu un mot de son discours : au lieu de regarder comme tout à l’heure le paysage par la fenêtre, en manière de désœuvrement, elle fixa les yeux sur elle et lui prêta l’oreille avec une attention marquée.

« Oui, Suzanne, dit-elle quand Nipper eut fini ; il faut certainement qu’il ait la confiance de papa, c’est son ami, sans aucun doute. »

La tête de Florence travailla sur ce sujet et le retourna dans tous les sens pendant plusieurs jours. M. Carker, dans les deux visites qui avaient suivi la première, avait établi des rapports de confiance entre Florence et lui qui étonnaient la jeune fille et la mettaient mal à l’aise : il s’était donné un air si mystérieux et si caché en lui disant qu’on n’avait aucune nouvelle du navire ; avec ses dehors doucereux, il avait pris un tel ascendant sur elle, qu’elle ne pouvait s’y dérober. Elle ne pouvait échapper à l’influence qu’il exerçait sur elle ; car cela aurait demandé quelque adresse et quelque connaissance du monde, enfin une tactique habile, et Florence n’en avait pas l’ombre.

Il est vrai qu’il s’était contenté de lui dire qu’il n’avait pas de nouvelles du bâtiment et qu’il avait des craintes très-sérieuses ; mais ce qui inquiétait Florence, c’était de savoir comment il avait pu parvenir à connaître l’intérêt qu’elle portait à ce bâtiment et pourquoi il s’arrogeait le droit de lui déclarer d’une manière si insinuante et si mystérieuse qu’il le savait.

La conduite de M. Carker à l’égard de Florence, l’habitude que celle-ci contracta d’examiner cette conduite avec un étonnement mêlé d’un certain malaise, commença à fasciner Florence. Elle conservait déjà un souvenir plus marqué de ses traits, de sa voix et de sa contenance : quelquefois même elle se plaisait à peindre cette figure à son imagination, afin que la familiarité la rabaissât au niveau d’une figure réelle qui ne fût pas de nature à la captiver plus qu’une autre : ses efforts ne parvenaient pas à dissiper l’impression importune qu’il avait faite sur elle ; d’autant plus qu’elle ne le voyait ja-