Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/124

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mais froncer le sourcil, ni la regarder avec des yeux mécontents ou irrités, puisqu’il avait toujours au contraire la figure souriante et sereine.

D’un autre côté, Florence, qui avait toujours le ferme projet de poursuivre son étude sur les moyens de se concilier l’amour de son père et qui persistait à croire fermement qu’elle était à son insu la cause de cette froideur qui les tenait tous deux à distance, en se rappelant que ce monsieur était un ami intime de son père, se demanda avec inquiétude si cette disposition qu’elle se sentait à ne pas aimer M. Carker, et même à le craindre, ne tenait pas à cette fatalité qu’elle portait avec elle et qui l’avait isolée, en lui aliénant l’amour de son père. Cela pouvait bien être ; elle le craignait du moins : quelquefois elle en était convaincue. Elle résolut donc de vaincre ce mauvais sentiment, elle se persuada que les attentions de l’ami de son père étaient pour elle un honneur et un encouragement, elle espérait qu’à force de l’observer patiemment et de mettre sa confiance en lui, il dirigerait ses pas déjà meurtris le long de l’âpre sentier qui aboutissait au cœur de son père.

Ainsi, sans avoir personne qui la conseillât, car elle ne pouvait consulter personne sans paraître se plaindre de son père, la douce Florence était ballottée entre le doute et l’espérance, comme sur une mer agitée, et M. Carker était comme le monstre cuirassé d’écailles, qui nageait au fond en tenant toujours fixés sur elle ses yeux étincelants.

C’était donc un nouveau motif pour Florence de désirer revenir à la maison. Sa vie solitaire convenait mieux à ses agitations timides d’espérance et de doute ; et parfois elle craignait que, pendant son absence, elle ne laissât échapper quelque heureuse occasion de prouver son affection à son père. Dieu sait qu’à cet égard son esprit aurait pu demeurer parfaitement tranquille, mais cette affection dédaignée fermentait en elle ; et, même dans son sommeil, quand elle rêvait, son amour semblait prendre la forme d’un oiseau qui, après avoir erré tout le jour, revient au nid le soir, se poser sur le cou de son père.

Elle pensait souvent à Walter ! ah ! que de fois elle y pensait, quand la nuit était sombre et que le vent mugissait autour de l’habitation ! Mais elle espérait toujours. Il est difficile aux âmes jeunes et ardentes, surtout inexpérimentées comme la sienne, de se figurer qu’un être plein de jeunesse et d’ardeur