Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/135

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À la fenêtre des Armes de la Princesse, on pouvait lire les louanges du Gingerbeer et voir, sur l’enseigne, des chalands altérés, inondés des flots de la liqueur pétillante ou étourdis par le bruit des bouchons qui sautaient.

Hors la ville, on faisait le regain. Il fallait sans doute du temps à la bonne odeur du foin pour arriver jusqu’à la place de la Princesse, et elle avait dû rencontrer en route bien des parfums d’un autre genre qui la contrariaient : il se trouvait par là tant de misérables taudis ! Que le bon Dieu bénisse ces très-honorés seigneurs qui, acceptant l’ordure de ces odieux cloaques comme un héritage de la sagesse de leurs ancêtres, se garderaient bien de toucher à la tradition ! Quoi qu’il en soit, l’odeur du foin arrivait par légères bouffées sur la place de la Princesse : c’était comme un souvenir de la véritable nature et de son atmosphère embaumée. Doux souvenir qui, pénétrant à travers les barreaux des prisons, vient consoler les malheureux captifs, en dépit des aldermen, de leurs conseillers et de tous ces nobles messieurs dont le sourcil comme celui de Jupiter, suffit pour arrêter la machine ronde.

Miss Tox, assise sur le bord de la croisée, était en train de penser à son cher papa qui était mort, le pauvre homme (M. Tox avait appartenu au service des douanes) ; elle pensait aussi à son enfance, qu’elle avait passée dans un port de mer au milieu du goudron et des habitudes rustiques du lieu. Elle se laissait aller aux souvenirs d’autrefois ; elle se rappelait les prairies toutes resplendissantes de boutons d’or qui ressemblaient à autant d’étoiles ; elle se rappelait comme elle tressait des chaînes de pissenlit pour les faiseurs de serments, qui lui juraient une constance éternelle en habit nankin. Hélas ! elle se rappelait aussi combien ces chaînes de fleurs s’étaient flétries et brisées sans résultat !

Assise donc sur le rebord de la croisée, miss Tox, en regardant les moineaux et le rayon de soleil, pensait aussi à sa chère maman… elle était morte la pauvre femme ! c’était la sœur de la tête poudrée, avec une queue, dont elle avait le portrait dans sa chambre… elle était morte d’un excès de vertu et de douleurs rhumatismales. Sur la place de la Princesse vint à passer un paysan à voix rauque, portant sur sa tête une pesante corbeille qui aplatissait son chapeau de façon à en faire une tarte ; elle l’entendit crier ses fleurs et le vit faire trembler, à chaque vibration, les timides racines de ses petites marguerites, en criant de sa grosse voix comme un ogre qui