Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/160

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Edith tourna vivement la tête. Jusque-là distraite, elle parut prendre tout à coup un vif intérêt à la conversation, et sans être vue, grâce à l’obscurité, elle écouta attentivement. M. Dombey répondit qu’il serait charmé de laisser Florence en d’aussi bonnes mains.

« Mon cher Dombey, répondit Cléopatre, mille remercîments pour la bonne opinion que vous avez de moi. Je craignais que vous n’allassiez, de propos délibéré, comme disent ces abominables gens de loi, dans leur horrible prose, me condamner à la solitude.

— Pourquoi me faire cette injure, ma chère madame ? dit M. Dombey.

— C’est que ma charmante Florence m’a si formellement dit qu’il lui fallait retourner à la maison demain, reprit Cléopatre, que je commençais à craindre, mon cher Dombey, que vous ne fussiez tout à fait un pacha.

— Je n’ai, je vous assure, madame, donné aucun ordre à Florence. Et lui en eussé-je donné, il n’y a pas un ordre qui ne cédât devant un de vos désirs.

— Mon cher Dombey, répliqua Cléopatre, quel courtisan vous faites ! et pourtant non, vous ne l’êtes pas, car les courtisans n’ont pas de cœur : et le vôtre se montre à chaque instant pour donner du charme à tout. Est-ce que vous allez déjà partir, vraiment, mon cher Dombey ? »

Mon Dieu ! oui, il allait partir : il commençait à se faire tard. Il fallait la quitter, à son grand regret.

« Je ne sais encore si je dors ou si je veille ? balbutia Cléopatre. Je ne puis pas croire, mon cher Dombey, que ce soit demain matin que vous allez venir me ravir ma douce compagne, mon Edith ! »

M. Dombey, qui était accoutumé à prendre les choses à la lettre, rappela à Mme Skewton qu’ils se reverraient d’abord à l’église.

« L’angoisse d’une mère, dit Mme Skewton, qui confie son enfant, même à vous, mon cher Dombey, est certainement des plus poignantes : tout cela joint à une délicatesse naturelle de constitution et à l’extrême stupidité du pâtissier qui s’est chargé du déjeuner, c’est plus que n’en peuvent porter mes forces. Mais je vais tâcher de surmonter tout cela demain, mon cher Dombey. Ne craignez rien pour moi, ne vous inquiétez pas. Que le ciel vous bénisse ! ma bonne Edith ! s’écria-t-elle d’un son de voix aigu : voilà quelqu’un qui nous quitte. »