Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/161

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Edith avait encore tourné la tête du côté de la fenêtre, quand elle avait cessé de prendre intérêt à leur conversation. Elle se leva, sans faire un pas vers lui, sans prononcer une seule parole.

M. Dombey, avec une galanterie fière, conforme à sa dignité et à la circonstance, s’avança vers elle en faisant craquer ses bottes, et porta sa main à ses lèvres. « C’est demain matin, dit-il, que j’aurai le bonheur de demander cette main comme celle de Mme Dombey, » puis s’inclinant cérémonieusement, il sortit.

Mme Skewton sonna pour qu’on apportât de la lumière, aussitôt qu’elle entendit la porte de l’allée se fermer sur lui. Avec la lumière parut la servante portant la robe de jeune fille destinée à tromper le monde le lendemain. Mais cette robe se vengeait cruellement de l’injure d’être portée par Mme Skewton ; et comme il arrive toujours, elle la rendait infiniment plus vieille encore que sa sale robe de flanelle. Cependant Mme Skewton l’essaya avec un air de satisfaction minaudière ; elle souriait à son squelette dans la glace, comme si elle se préparait à produire un effet meurtrier sur le major ; puis, se laissant déshabiller par sa servante, chargée aussi des autres soins de sa toilette de nuit, Cléopatre tomba en ruine comme un château de cartes.

Pendant tout ce temps-là, Edith était restée à la sombre fenêtre à regarder dans la rue. Lorsqu’elle fut seule avec sa mère, elle s’éloigna de la croisée pour la première fois de la soirée et vint se placer en face d’elle. Quand les yeux de la mère se levèrent sur la figure si fière de sa fille, dont le regard ardent se baissait vers elle, on eût pu voir dans les traits de cette vieille femme, qui bâillait en remuant la tête d’un air maussade, comme un remords, que la légèreté de son caractère ne pouvait dissimuler.

« Je suis mortellement fatiguée, dit-elle. On ne peut pas compter un moment sur vous, vous êtes pire qu’un enfant. Et encore un enfant est moitié moins obstiné et moins désagréable que vous.

— Écoutez-moi, ma mère, reprit Edith, en dédaignant de répondre à ce reproche. Il faut que vous restiez seule jusqu’à mon retour.

— Que je reste seule jusqu’à votre retour, Edith ? répéta sa mère.

— Sinon, je vous jure, au nom de celui que je prendrai demain à témoin si faussement, si honteusement, que je refuse