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CHAPITRE XI.

Le Petit aspirant de marine se disloque.


L’honnête capitaine Cuttle resta plusieurs semaines retranché dans son fort : il ne se départit pas un seul instant des prudentes précautions qu’il avait imaginées pour se mettre à l’abri d’un coup de main : il y renonça d’autant moins, que l’ennemi ne se laissait pas voir. Le capitaine disait, pour justifier sa circonspection, que cet état actuel de profonde sécurité était trop étonnant pour pouvoir durer longtemps ; il savait que, lorsque le temps était au beau, ce n’était jamais au beau fixe, et que la girouette, en pareil cas, ne tardait pas à tourner : il connaissait aussi trop bien le caractère de Mme  Mac-Stinger pour croire que cette femme renoncerait à l’héroïque projet qu’elle devait avoir conçu de le découvrir et d’opérer sa capture. Toutes ces réflexions faisaient frissonner le pauvre capitaine, qui mena dès lors une vie solitaire et retirée : s’il sortait quelquefois, c’était bien rare et toujours à la brune, n’osant s’aventurer que dans les rues les plus sombres ; mais c’est surtout le dimanche qu’il se gardait bien de démarrer. Dans tous les cas, soit dans ses retranchements, soit dehors, il se garait des chapeaux de femme comme de la crinière des lions dévorants.

Le capitaine Cuttle ne pouvait pas s’imaginer comment il parviendrait à résister à Mme  Mac-Stinger, si jamais, pendant les promenades qu’il se permettait, elle venait mettre le grappin sur lui. Il sentait que cela était complétement impossible. Il se voyait déjà lui, capitaine Cuttle, bel et bien fourré dans un fiacre et transporté, par voie coërcitive, à son ancien logement. Et dame ! une fois mis dedans, c’était un homme perdu, il le prévoyait bien. Adieu son chapeau, et Mme  Mac-Stinger ferait bonne garde jour et nuit : sans compter les reproches accumulés sur sa tête en présence de tous les petits Mac-Stinger ; il deviendrait un objet de soupçon et de défiance ; aux yeux des enfants ce serait un ogre, et aux yeux de Mme  Mac-Stinger, leur mère, un traître démasqué.