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petit aspirant de marine, qui servait de girouette dans son temps, avec son télescope à l’œil, visible autrefois de la rue, mais depuis longtemps démoli, était dans ce moment à grincer sur son pivot rouillé, à la merci de l’ouragan qui le faisait tourner comme un toton sur lui-même.

Sur l’étoffe grossière de l’habit bleu du capitaine, les froides gouttes de pluie brillaient comme autant de petites boules d’acier : c’est à peine s’il pouvait tenir tête au vent violent du nord-ouest assez impétueux pour lui faire faire la culbute par-dessus le balcon et le précipiter sur le pavé. « Si l’Espérance était quelque part ce soir-là, pensait le capitaine en retenant son chapeau sur sa tête, il fallait qu’elle fût restée à domicile ; elle ne se serait toujours pas risquée à mettre le nez dehors. » Aussi, le capitaine secouant tristement la tête, rentra pour voir s’il ne la trouverait pas chez lui.

Le capitaine Cuttle descendit lentement l’escalier qui conduisait à la petite salle à manger, il s’assit sur sa chaise ordinaire et chercha l’Espérance dans la flamme du foyer, mais elle n’y était pas, et pourtant la flamme brillait bien. Il tira de sa poche sa blague et sa pipe, et se disposa à fumer pour voir s’il ne la trouverait pas dans le brasier du fourneau de sa pipe et dans les flots de fumée qui ondulaient autour de ses lèvres ; mais dans la pipe, comme dans les tourbillons de fumée, on ne voyait même pas une des pointes de l’ancre de l’Espérance. Il essaya d’un grog ; même déception : il ne trouva, au fond du verre, que de tristes réalités, et ne se sentit pas le courage de le vider. Il fit un tour ou deux dans la boutique, et chercha l’Espérance parmi les instruments ; mais, dans leur obstination, ces instruments retraçaient tous le naufrage du navire, en dépit des efforts du capitaine pour n’y pas croire : il voyait toujours devant lui le fond de la mer.

Pendant que le vent soufflait toujours, que la pluie continuait de frapper contre les volets fermés, le capitaine s’approcha du petit aspirant de marine, et, tout en essuyant avec sa manche l’uniforme mouillé du petit officier, il se prit à songer au grand nombre d’années que le petit aspirant avait vues passer sans qu’il s’opérât de grands changements dans l’équipage : il songea comme tous ces changements étaient venus fondre à la fois le même jour et balayer la boutique. D’un côté, la petite réunion de la salle à manger avait été dissoute, et la société qui la composait éparpillée ; d’un autre côté, il n’y avait plus d’oreilles pour entendre la ballade de la Belle Suzon.