Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/209

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qu’il suivait sa route sur le terrain aride et raboteux qui s’étendait devant la maison. Ce terrain naguère encore était une verte prairie ; maintenant ce n’était qu’un amas confus de charpentes de petites maisonnettes sortant des gravois comme si elles eussent été semées là par hasard. Quand le frère tourna la tête, ce qu’il fit une fois ou deux, la figure de sa sœur était toujours là, conservant toute sa sérénité ; mais une fois qu’il eut disparu, et que ses yeux ne purent plus l’apercevoir, le cœur d’Henriette déborda et son visage s’inonda de larmes.

Mais elle ne resta pas longtemps pensive à la porte. Les soins journaliers du ménage la réclamaient et ce n’était pas une petite besogne. Car, bien souvent, ces gens communs, qui ne sont pas des héros selon le monde, n’en sont pas moins durs à la besogne, et Henriette se mit bientôt tout entière à la sienne. Quand elle eut fini, que tout dans la maison eut été bien nettoyé et mis en ordre, elle compta avec inquiétude le peu d’argent qui lui restait ; puis elle sortit, le cœur triste, pour faire les petites emplettes nécessaires à leur repas, pensant tout le long de la route à ce qui pourrait coûter le moins cher. C’est si misérable, ces petites gens ! Comment voulez-vous qu’ils aient quelque chose d’héroïque, au moins aux yeux de leurs valets et de leurs femmes de chambre ? ils n’ont pas seulement de valets ni de femmes de chambre pour faire valoir leur héroïsme !

Pendant son absence, comme il n’y avait plus personne dans la maison, un homme, suivant une autre route que celle qu’avait prise son frère, s’approchait de leur demeure. Cet homme n’était plus de la première jeunesse peut-être, mais son frais visage respirait la santé, sa démarche était ferme et sa physionomie ouverte attestait sa bonté et sa douceur. Ses sourcils étaient noirs encore, et si quelques mèches blanches se mêlaient à sa noire chevelure, elles ne servaient qu’à faire ressortir davantage la noirceur de ses sourcils, la beauté de son large front et la douceur de ses yeux.

Après avoir frappé une fois à la porte sans obtenir de réponse, le personnage s’assit sur un banc et attendit : il siffla quelques notes d’un air dont il battait la mesure avec ses doigts agiles sur son siège rustique ; à coup sûr c’était un musicien. À la satisfaction qu’il semblait éprouver en fredonnant lentement et avec goût un air dont on ne pouvait reconnaître le thème, on voyait de plus que ce n’était pas un musicien ordinaire.