Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/208

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— Ah ! l’eussé-je connu, je ne déplorerais pas davantage cette mort funeste. Votre douleur n’est-elle pas la mienne ? Mais si je l’avais connu, peut-être trouveriez-vous plus d’adoucissement à votre peine dans mes paroles, quand je vous parlerais de lui.

— Ô ma bien-aimée sœur, ne sais-je pas que vous partagez tout ce que j’éprouve, joie ou douleur ?

— J’espère que vous le croyez, John, car vraiment mon cœur et le vôtre ne font qu’un.

— Comment alors pourriez-vous me montrer plus de tendresse ou d’attachement que vous ne faites ? Il me semble que vous l’avez connu, Henriette, et que vous partagez tous mes sentiments à son égard. »

Elle jeta autour de son cou la main qu’elle tenait appuyée sur son épaule et répondit en hésitant :

« Non, pas tout à fait.

— C’est vrai ! c’est vrai ! dit-il ; car vous vous figurez que je n’aurais pas mal fait de lui laisser plus souvent cultiver notre connaissance.

— Si je me le figure ! mais j’en suis sûre !

— Dieu sait que je le faisais dans son intérêt, reprit-il en secouant tristement la tête : sa réputation était trop précieuse pour la compromettre par une amitié comme la mienne. Que vous partagiez ce sentiment ou non, ma chère…

— Je ne le partage pas, dit-elle tranquillement.

— C’est pourtant la vérité, Henriette, et le souvenir de la discrétion qui faisait alors ma peine est au contraire maintenant une consolation pour moi. »

Il fit trêve à sa mélancolie pour lui sourire en disant :

« Adieu !

— Adieu, cher Jean ! Ce soir à l’heure et à l’endroit ordinaires. Je vous attendrai. Adieu ! »

La figure amie, qu’elle tendit à ses baisers, était sa fortune, sa vie, son univers ; et pourtant, il faut le dire, c’était aussi une partie de son châtiment et de sa peine. Il voyait dans le nuage qui obscurcissait son front, nuage pur et calme comme les nues resplendissantes qui accompagnent le coucher du soleil ; il voyait dans sa constance, dans son dévouement, dans le sacrifice qu’elle avait fait de son bien-être, de son bonheur, de son avenir, il voyait dans tout cela les fruits amers de son crime passé, toujours présent, toujours nouveau.

Elle resta à la porte, les bras croisés sur la poitrine, tandis