Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monsieur Gills, continua M. Carker en envoyant un large son rire à l’adresse de Robin, qui en trembla de tous ses membres. Je vous serai donc bien obligé de le surveiller de près et de me donner des renseignements sur sa conduite. Cette après-midi, en retournant chez moi, j’irai adresser une ou deux questions à ses parents, gens fort respectables, pour m’édifier complétement sur son compte ; et, cela fait, monsieur Gills, je vous l’enverrai demain matin. Adieu ! »

Le sourire qu’il fit à Solomon Gills quand celui-ci se retira laissait voir une rangée de dents si formidable, que le pauvre vieillard, tout troublé, en éprouva un malaise indicible. Il revint chez lui, la tête remplie des plus lugubres pensées : il ne voyait que mers orageuses, que navires en détresse, que passagers qui se noient, et au milieu de ce triste tableau apparaissait toujours une vieille bouteille de madère ensevelie pour ne plus revoir le jour.

« Allons, mon garçon, dit Carker mettant la main sur l’épaule du jeune Toodle et l’amenant au milieu de la chambre, tu m’as entendu ?

— Oui, monsieur.

— Tu es assez grand peut-être pour comprendre, poursuivit son protecteur, que, si tu as jamais l’intention de me tromper ou de me jouer des tours, il aurait beaucoup mieux valu pour toi aller te jeter à la rivière une fois pour toutes que de venir ici. »

En fait de choses que son intelligence pouvait saisir, cette observation de M. Carker était celle que Robin comprenait le mieux.

« Si tu m’as fait le moindre mensonge, ajouta M. Carker, ne reparais jamais devant moi ; si tu m’as dit la vérité, va m’attendre cette après-midi dans le voisinage de la maison de ta mère. Je partirai d’ici à cinq heures et je me rendrai chez ta mère à cheval. Maintenant donne-moi l’adresse. »

Robin donna l’adresse de ses parents ; il la dicta lentement pour laisser le temps à M. Carker de l’écrire ; il l’épela même une seconde fois lettre par lettre, comme s’il craignait que l’omission d’une lettre ou d’un point sur un i ne devînt la cause de sa perte. Puis M. Carker le mit dehors, et Robin, ses yeux ronds toujours fixés sur son protecteur jusqu’au dernier instant, disparut pour le moment.

M. Carker ne manqua pas d’ouvrage dans le courant de la journée et montra ses dents à beaucoup de monde. Au bureau,