Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/212

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n’avons pas le courage de faire. On ne nous apprend cela ni dans les écoles, ni dans les colléges, et nous n’avons pas à ce sujet d’idées bien arrêtées. Bref, nous sommes de pauvres diables occupés de leur métier et voilà tout, dit l’inconnu allant et venant jusqu’à la croisée, puis se rasseyant dans un état de mécontentement et de désappointement visibles. Oui, vraiment, continua-t-il en passant de nouveau sa main sur son front et tambourinant sur la table derechef, j’ai de bonnes raisons de croire qu’un petit trantran uniforme de tous les jours, de toutes les heures peut vous habituer à tout. On ne voit rien, on n’entend rien, on ne sait rien ; c’est la réalité. Nous allons toujours, acceptant tout comme on nous le donne, et c’est ainsi que nous marchons, que nous marchons toujours, jusqu’au moment où le bien, le mal, tout enfin se fait par habitude. Quand je me trouverai face à face avec ma conscience, sur mon lit de mort, je n’aurai vraiment à m’en prendre, je crois, qu’à l’habitude. Pure habitude, dirai-je. Si j’ai été sourd, muet et paralytique pour un million de choses, c’est par habitude. Monsieur un tel, dira la conscience, c’est bon dans la pratique du commerce et des affaires, ces excuses-là, mais ici cela ne prend pas. »

L’inconnu se leva, marcha jusqu’à la croisée, revint encore vraiment mal à l’aise, mais toujours donnant à son malaise cette expression particulière.

« Miss Henriette, dit-il en reprenant sa place, je voudrais que vous me permissiez de vous rendre service. Regardez-moi bien, je dois avoir l’air honnête, car je sais que mes intentions sont pures en ce moment. Dites, me croyez-vous honnête ?

— Oui, répondit-elle en souriant.

— Je crois tout ce que vous m’avez dit, reprit-il, et je ne saurais trop me reprocher d’être resté douze ans, sans avoir su tout cela, sans vous avoir connue lorsque je pouvais le faire. C’est à peine si je sais comment je suis venu ici. Stupide créature que je suis, de me faire l’esclave non-seulement de mes habitudes, mais encore de celles des autres ! Puisque enfin j’en suis arrivé là, laissez-moi faire quelque chose pour vous. Je vous le demande en tout bien, tout honneur. Vous m’inspirez au plus haut degré estime et respect. Laissez-moi faire quelque chose pour vous.

— Ce que nous avons nous suffit, monsieur.

— Non, pas complétement, reprit l’inconnu. Il y a mille petits riens qui pourraient rendre plus douce votre existence et