Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/213

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la sienne. Et la sienne ! répéta-t-il croyant par là faire sur elle plus impression. Je m’étais imaginé, par habitude encore, qu’il n’y avait rien à faire pour lui, que tout était conclu, fini ! Bref, je n’y avais jamais songé. Maintenant je pense tout autrement. Permettez-moi alors de faire quelque chose pour lui. Vous aussi, dit l’inconnu avec une délicatesse pleine de réserve, vous aussi vous devez veiller soigneusement à votre santé par amour pour lui, et je crains que vous ne la ménagiez pas assez.

— Qui que vous soyez, monsieur, répondit Henriette en levant les yeux vers lui, croyez à ma profonde gratitude. Je suis convaincue que vous n’avez d’autre but que de nous obliger. Il y a bien longtemps déjà que nous menons cette existence ; enlever à mon frère si peu que ce soit de ce qui me l’a rendu si cher et qui prouve ses bonnes résolutions, lui enlever une parcelle du mérite qu’il a à travailler seul à sa réhabilitation dans le silence et dans l’oubli, ce serait diminuer la consolation que nous trouverons lui et moi, quand viendra pour nous l’heure dont vous me parliez. Les larmes que vous voyez dans mes yeux sont un remercîment plus expressif que tout ce que je pourrais vous dire, croyez-le bien, monsieur. »

L’inconnu attendri porta à ses lèvres la main qu’elle lui tendait, et le baiser qu’il y déposa était celui d’un tendre père, heureux de voir dans sa fille un tel amour du devoir, si ce n’est qu’un père aurait montré moins de respect.

« Quand le jour sera venu, dit Henriette, où il aura recouvré en partie la position qu’il a perdue…

— Recouvré ! s’écria vivement l’inconnu, et comment l’espérer ? Qui pourrait lui rendre sa position ? Je ne crois pas me tromper ; mais il me semble que son frère ne lui pardonnera jamais d’avoir emporté avec lui un trésor inappréciable.

— Vous abordez un sujet, dont il n’est jamais question entre nous, non, jamais, pas même entre nous.

— Veuillez me pardonner, dit l’inconnu ; j’aurais dû le savoir. Oubliez, je vous prie, ce qui vient de m’échapper. Je n’ose insister davantage, car je doute que j’en aie le droit ; Dieu sait pourtant que ce doute de ma part est peut-être une habitude encore, et l’inconnu passait la main sur son front d’un air aussi découragé qu’auparavant. Mais laissez-moi, tout étranger que je suis, quoique je ne le sois pas par l’intérêt que je prends à vos peines, vous demander deux faveurs.

— Lesquelles ?