Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/222

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— Oui, mère, répondit Alice qui se baissa un moment pour l’embrasser, mais en cherchant toutefois à se délivrer de son étreinte. Me voici enfin. Laissez-moi, mère, laissez-moi. Relevez-vous et asseyez-vous. À quoi sert tout cela ?

— Elle revient plus dure pour moi qu’elle n’était partie ! s’écria la mère en levant les yeux vers elle, mais sans quitter ses genoux. Elle ne se soucie guère de moi, après tant d’années d’absence et la misérable vie que j’ai menée !

— Eh bien, mère, dit Alice en secouant sa robe toute déguenillée pour faire lâcher prise à la vieille, je n’étais pas non plus sur des roses. J’ai eu mes mauvaises années comme vous les vôtres. Levez-vous ! levez-vous ! »

Sa mère se leva, sanglota, se tordit les mains et se tint à quelques pas d’elle sans la quitter des yeux. Puis, elle reprit la chandelle, tourna autour d’elle et l’examina des pieds à la tête, en faisant entendre tout le temps un sourd gémissement. Elle replaça ensuite la chandelle sur la table, reprit son siège, se mit à frapper dans ses mains, comme pour battre la mesure de quelque air monotone, et se balançant de droite et de gauche elle continua à gémir et à se lamenter.

Alice se leva, ôta son manteau tout mouillé, et le jeta dans un coin. Cela fait, elle s’assit à la même place, et les bras croisés, les yeux fixés sur le feu, elle écouta en silence et d’un air de mépris les plaintes inarticulées de sa vieille mère.

« Aviez-vous espéré me voir revenir aussi jeune que j’étais partie, mère ? dit-elle enfin en tournant les yeux vers la vieille femme. Aviez-vous espéré qu’une vie dans les pays lointains, qu’une vie comme la mienne était faite pour embellir les gens ? On le croirait à vous entendre.

— Ce n’est point cela, répondit la mère. Elle sait bien que ce n’est point cela.

— Qu’est-ce donc alors ? Tenez, mère, pas tant de grimaces, ou je sortirai plus vite que je ne suis entrée.

— L’entendez-vous ? s’écria la mère. Après tant d’années de séparation, elle me menace déjà de me quitter, quand elle ne fait que de revenir !

— Je vous répète, mère, pour la seconde fois que j’ai eu mes mauvaises années, comme vous avez eu les vôtres, dit Alice. Je suis, dites-vous, revenue plus dure. Sans doute, je suis revenue plus dure. Pouviez-vous espérer autre chose ?

— Plus dure pour moi, plus dure pour sa tendre mère ! s’écria la vieille femme.