Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/231

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avait doucement touché son bras semblait la menacer et s’apprêter à l’étrangler.

Henriette, à cette vue, se rapprocha de son frère comme pour y chercher un refuge.

« Dire que je vous ai parlé sans vous reconnaître ! dire que j’étais près de vous et que je n’ai pas senti le sang qui coulait dans vos veines au battement de mon cœur ! dit Alice avec un geste de menace.

— Que voulez-vous dire ? Que vous ai-je fait ?

— Ce que vous m’avez fait ? reprit Alice. Vous m’avez fait asseoir à votre foyer, vous m’avez donné de la nourriture et de l’argent. Vous m’avez témoigné de la compassion, vous dont je maudis le nom ! »

La vieille femme, avec une malveillance qui rendait sa laideur vraiment terrible, étendit sa main décharnée vers le frère et la sœur comme pour confirmer les paroles de sa fille. Mais, en même temps, elle tirait toujours la robe d’Alice, la suppliant de garder l’argent.

« Si j’ai versé une larme sur votre main, que cette larme la brûle ! Si j’ai prononcé une parole de douceur à vos oreilles, puisse cette parole vous rendre sourde à jamais ! Si je vous ai touchée de mes lèvres, puisse ce baiser vous donner la mort ! Malédiction sur la maison qui m’a offert un abri ! Que la douleur et la honte vous accablent ! Que tout ce qui vous appartient soit détruit, ruiné de fond en comble ! »

En prononçant ces paroles, elle jeta l’argent sur le carreau et le foula aux pieds.

« Je le jette dans la boue ! Je ne le ramasserais pas quand j’en verrais jonché le chemin qui devrait me conduire au ciel ! Plût à Dieu que ce pied ensanglanté qui m’a fait entrer ici fût tombé de pourriture avant de m’amener chez vous ! »

Henriette, pâle et tremblante, arrêta son frère et la laissa continuer sans l’interrompre.

« Fallait-il que je fusse l’objet de votre pitié et de votre pardon, de vous ou des vôtres, le premier jour de mon retour ! Fallait-il que vous fissiez la bonne dame pour moi ! Je vous remercierai au lit de mort ; je prierai pour vous et pour toute votre race, vous pouvez y compter. »

Elle fit de la main un geste d’une énergie farouche, elle semblait arroser de sa haine le seuil de cette maison et vouer à la ruine ceux qu’elle avait sous les yeux. Puis elle leva ses regards vers le ciel sombre et disparut au milieu des ténèbres.