Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/234

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on s’interrompt, quoi qu’on dise, et on écoute. Souvent dans un élan général, on crie : « Les voilà ! » Mais ce ne sont pas encore eux. La cuisinière pleure sur son dîner qu’on a déjà rapporté deux fois ; le contre-maître du tapissier continue toujours, sans être troublé dans sa rêverie bienheureuse, son dernier coup d’œil dans l’appartement.

Florence est prête à recevoir son père et sa nouvelle maman. Toutes les émotions qui font palpiter son cœur sont-ce des sentiments de plaisir ou de peine ? elle n’en sait rien. Mais ses joues se colorent, ses yeux brillent. On dit dans la cuisine tout bas, parce que c’est toujours tout bas qu’on parle de Florence, quand on en parle, on dit à la cuisine : « Comme Mlle Florence est belle ce soir ! comme elle a grandi, la pauvre enfant ! » Il se fait un moment de silence ; la cuisinière, comprenant, en sa qualité de présidente, qu’on attend son opinion, s’étonne que… elle n’achève pas. La bonne s’étonne aussi, ainsi que Mme Perch, qui jouit de l’heureuse faculté de s’étonner quand les autres s’étonnent, sans savoir au juste pourquoi elle s’étonne. Towlinson, s’apercevant qu’il est temps de calmer l’agitation de ces dames et de la ramener à sa température, dit : « Qui vivra verra. » Il souhaite seulement que tout tourne bien. La cuisinière fait entendre un petit soupir en disant : « C’est en vérité un bien singulier monde que le nôtre ! » Quand cette phrase a fait le tour de la table, elle ajoute d’un ton de conviction : « Après tout, la position de Mlle Florence ne peut toujours pas perdre au change, Tom. »

Towlinson, qui vient de préparer une réponse d’une portée effrayante, s’écrie : « … Vraiment ? » Mais il comprend qu’un simple mortel ne doit pas pousser plus loin les prédictions, et qu’il n’y a plus qu’à tirer l’échelle : Il garde le silence.

Mme Skewton s’est mise en mesure pour recevoir sa chère fille et son cher gendre à bras ouverts ; dans ce but, elle a endossé un costume tout à fait juvénile, une robe à manches courtes. Pour le moment, pourtant, ses charmes un peu mûrs fleurissent à l’ombre du magnifique appartement qui lui est destiné : elle n’en est pas encore sortie depuis qu’elle en a pris possession il y a quelques heures ; elle commence à faire la moue en voyant que le dîner attend.

La femme de chambre de Mme Skewton, qui devrait être un squelette pour bien faire, mais qui est au contraire une bonne gaillarde, montre l’humeur la plus aimable : elle pense que ses gages ne manqueront plus à présent de lui être payés réguliè-