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du papier. La femme de chambre lui donna aussitôt ce qu’elle demandait, pensant qu’elle allait faire son testament pour mettre par écrit ses volontés dernières. Mme Dombey n’étant pas à la maison, la femme de chambre attendit le résultat avec une émotion profonde.

Après un griffonnage pénible et rempli de ratures, la vieille femme parvint à tracer quelques lettres tout de travers, qui semblaient tomber au hasard du bout de son crayon et elle lui tendit le document suivant :

« Des rideaux roses. »

Voyant la femme de chambre, saisie d’étonnement, et ce n’était pas sans raison, Cléopatre rectifia le manuscrit en y ajoutant trois mots.

« Des rideaux roses pour les médecins. »

La femme de chambre découvrit alors qu’elle désirait ces rideaux pour présenter à la faculté une mine plus fleurie. Comme les gens de la maison, qui la connaissaient le mieux, n’avaient aucun doute sur cette interprétation, que Mme Skewton, du reste, confirma elle-même, on plaça, à son lit, des rideaux roses, et, à partir de ce moment, elle se remit avec une incroyable rapidité. Bientôt elle put se lever, en papillottes, en bonnet monté et en robe de chambre. Elle n’oublia pas de remplir de rouge les profondes cavernes de ses joues.

C’était quelque chose d’affreux que de voir cette femme dans ses atours, jouant de la prunelle, minaudant avec la mort, et lui faisant des agaceries comme si elle avait affaire au major. Mais l’affaiblissement de ses facultés intellectuelles, qui suivit cette attaque, donnait autant à penser et n’était pas moins effrayant.

Cette attaque eut-elle pour effet de la rendre plus rusée et plus fausse qu’auparavant ? Mme Skewton, à dater de ce moment, mêla-t-elle dans son cerveau ce qu’elle avait fait semblant d’être, et ce qu’elle avait été réellement ? Eut-elle comme un remords de sa conduite passée, remords qui ne pouvait se produire au grand jour, ni rester complétement dans l’obscurité ? ou bien la maladie qui troubla ses facultés produisit-elle tous ces résultats à la fois ? ce qui est très-probable ; voici du moins ce qu’on remarqua dans sa conduite ; elle devint excessivement exigeante sous le rapport de l’affection, de la reconnaissance et des égards qu’elle réclama d’Edith : elle faisait elle-même son propre éloge, se proclamant la plus estimable des mères, elle se montrait jalouse de la tendresse d’Edith :