Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/34

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la vie ! Mais non ; la morne désolation de ce séjour abandonné se montrait partout au milieu du profond silence de l’habitation. Dans les appartements, les rideaux, tombant sans grâce, n’avaient plus ni pli ni forme et ressemblaient à de lourds linceuls. Les meubles, toujours entassés et toujours couverts, semblaient une hécatombe de malheureuses victimes emprisonnées et oubliées à jamais. Les miroirs avaient été ternis par l’haleine du temps : sur le plancher, des tapis, aux couleurs passées, ne laissaient plus voir que quelques figures aussi vagues et aussi confuses que le souvenir des mille riens qui remplissent la vie. Les parquets, qui avaient perdu l’habitude des pas humains, craquaient et branlaient. Les clefs restaient rouillées aux serrures des portes. L’humidité s’attachait aux murailles ; les peintures, devant cette invasion des taches, semblaient leur céder la place et rentrer en elles-mêmes.

La moisissure commençait à se mettre dans les cabinets ; des champignons poussaient dans tous les coins et les recoins des caves. La poussière s’amoncelait, sans qu’on sût ni d’où ni comment : tous les jours on n’entendait parler que d’araignées, de phalènes, de nymphes. De temps en temps, sur les marches de l’escalier, on trouvait immobile un cafard au milieu de ses explorations, qui avait l’air étonné lui-même de se trouver là. Pendant la nuit, c’étaient les souris qui se battaient et qui faisaient entendre leurs petits cris dans les sombres galeries qu’elles creusaient derrière les panneaux.

La sombre magnificence des salons de réception, à peine visibles à la clarté douteuse qui se glissait à travers les fentes des contrevents fermés, pouvait donner l’idée d’un manoir enchanté. Ainsi les lions dorés laissaient poindre le bout de leurs pattes ternies ; les statues, sur leurs piédestaux, montraient timidement leurs blêmes figures derrière les voiles qui les cachaient. Les horloges ne disaient plus l’heure à personne, sauf quelques-unes qui se trouvaient remontées par hasard : encore sonnaient-elles des heures qui ne se marquent sur aucun cadran terrestre ; de temps à autre, les lustres suspendus au plafond faisaient entendre un cliquetis plus triste que le tocsin. Les bruits sourds et les vents lugubres qui passaient au milieu de ces objets et de mille autres encore mystérieusement voilés, donnaient à tout des apparences de spectre. Puis venait le grand escalier, que le seigneur du lieu montait si rarement, depuis que son petit enfant avait passé par là pour aller au ciel ; puis encore d’autres escaliers, d’autres corridors