Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui demeuraient déserts des semaines entières ; plus loin, deux chambres hermétiquement fermées, consacrées aux membres de la famille que la mort avait frappés, et où l’on s’entretenait tout bas en parlant d’eux ; mais au moins, pour tous les autres, excepté pour Florence, il y avait une figure gracieuse qui animait la solitude et la tristesse de cette vaste maison et donnait comme par miracle à tous ces objets un air d’intérêt et de vie.

Car Florence vivait solitaire dans la maison abandonnée ; les jours se succédaient et Florence était toujours seule ; et les froides murailles semblaient jeter sur elle un regard sinistre : on eût dit qu’à l’exemple de la Gorgone, elles voulaient changer en pierre sa jeunesse et sa beauté.

L’herbe commençait à croître sur le toit et entre les pavés de la cour ; des plantes maladives poussaient sur les fenêtres. Des morceaux de plâtre tombaient de l’intérieur des cheminées dont on ne se servait plus. Les deux arbres de la cour, noircis par la fumée, se pourrissaient, et les rameaux desséchés s’étendaient tristement au-dessus de leurs feuilles. Partout le blanc s’était tourné en jaune et le jaune en noir : enfin, depuis la mort de la pauvre dame, sa demeure d’autrefois n’était qu’un vide hideux dans cette rue longue et monotone.

Mais Florence était là, dans toute sa fraîcheur, comme la jolie fille du roi, dans le conte de fée. Elle faisait sa seule compagnie de ses livres, de sa musique, de ses maîtres quotidiens. Je me trompe, il y avait encore Suzanne Nipper et Diogène. Suzanne, en assistant aux études de sa jeune maîtresse, commençait à devenir elle-même fort instruite.

Diogène, adouci probablement aussi par l’influence de la jeune fille, venait poser sa tête sur la fenêtre ; et là, au sein d’une heureuse quiétude, il ouvrait et fermait tour à tour ses yeux au-dessus des passants ; quelquefois il dressait la tête, lançait un regard intelligent et significatif sur un chien qui aboyait dans une voiture ; souvent, comme s’il se rappelait vaguement qu’il y avait un ennemi dans le voisinage, il s’élançait furieux vers la porte ; puis, après avoir fait un tapage étourdissant, il revenait se démenant avec un air de satisfaction ridicule qui n’appartenait qu’à lui, et recouchait sa joue sur le bord de la croisée, glorieux comme un Artaban, ou comme un chien qui a bien mérité de la patrie. C’est ainsi que Florence vivait au milieu de sa sauvage solitude, absorbée dans ses innocentes études et dans ses pensées plus innocentes en-