Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mer de Florence et à vous l’attacher davantage : car vous aussi, l’affection d’une mère vous manque.

— Mais avec vous, ma tante, je ne suis pas privée d’affection, je ne l’ai jamais été.

— C’est vrai, reprit la dame, vous êtes encore moins à plaindre que Florence. Car il n’y a pas au monde d’orpheline aussi abandonnée que celle qui est exilée de l’affection d’un père, quand ce père existe encore. »

Toutes les fleurs gisaient éparses sur la terre et Florence porta ses mains vides alors à sa tête pour se cacher la face, puis elle tomba à genoux, pauvre orpheline ! et pleura amèrement. Mais fidèle à sa foi inébranlable dans sa résolution courageuse, elle s’y cramponna comme sa mère mourante se cramponnait à elle le jour où elle donna la vie à Paul. Puisque son père ignorait combien elle l’aimait, il lui fallait essayer de lui faire connaître un jour ou l’autre la tendresse qu’elle avait pour lui. Cela pouvait demander beaucoup de temps. Les résultats seraient lents sans doute ; mais rien ne devait la décourager. Elle éviterait le moindre mot, le moindre regard, le moindre trouble, qu’on pourrait interpréter d’une façon désobligeante pour lui, ou qui pourrait devenir pour les autres l’occasion de ces insinuations peu flatteuses pour son caractère.

Tout en répondant aux avances de la petite orpheline, vers laquelle elle se sentait attirée naturellement, et qu’elle avait tant de raisons d’aimer, Florence pensait à son père. La choisir pour amie de préférence aux autres, serait accréditer, pensait-elle, aux yeux de l’enfant, aux yeux de bien d’autres encore, peut-être, tous les bruits qui couraient sur la froideur et la dûreté de son père : le plaisir qu’elle éprouverait ne compenserait pas cette injure. La conversation qu’elle avait entendue devait lui profiter ; non pour la consoler, mais pour l’inviter à ménager l’honneur de son père ; et Florence ne manqua pas à la tâche que son cœur s’était imposée.

Elle s’y adonna sans relâche. Si, par exemple, on faisait une lecture et qu’il y eût dans l’histoire quelque allusion à un mauvais père, elle était tourmentée dans la crainte de voir appliquer ce passage à M. Dombey ; elle s’oubliait pour lui. S’agissait-il d’une petite pièce insignifiante que les enfants jouaient entre eux, d’un tableau qu’on montrait, d’un amusement quelconque, c’était toujours la même vigilance. Pour lui prouver ainsi son amour, il lui fallait bien de l’abnégation ! Plus d’une fois, elle regretta d’avoir quitté sa triste et vieille