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demeure. Elle aurait voulu se retrouver seule et tranquille entre ses quatre murailles. En voyant la douce Florence au printemps de la vie, modeste reine de ces petites fêtes, qui aurait pu deviner tout ce qu’il y avait de pensées pieuses dans ce jeune cœur ? Quand on se sentait glacé devant son père, qui aurait pu se douter des charbons ardents qu’il amassait sur sa tête ?

Florence poursuivait patiemment sa tâche difficile, mais ne réussissant pas à acquérir le secret de la grâce surnaturelle qu’elle cherchait, au milieu des jeunes filles de la maison, elle sortait souvent seule le matin de bonne heure et allait se mêler aux enfants des pauvres. Mais toujours elle les trouvait tous trop avancés aussi dans cette science pour apprendre d’eux quelque chose. Il y avait déjà longtemps qu’ils avaient conquis leur place dans la maison ; il y avait longtemps qu’ils avaient franchi le seuil devant lequel elle était arrêtée, sans pouvoir se faire ouvrir la porte.

Plusieurs fois déjà, elle avait remarqué un homme qui, le matin de bonne heure, était toujours au travail : à côté de lui s’asseyait souvent une jeune fille à peu près de son âge. Cet homme était très-pauvre et ne paraissait pas avoir d’occupation régulière : tantôt il errait sur la plage, à la marée basse, ramassant des épaves dans la vase ; tantôt il travaillait à un petit bout de terrain devant sa cabane ; tantôt il raccommodait une vieille barque qui lui appartenait ou faisait quelque corvée pareille pour un voisin, suivant l’occasion. Quelle que fût la besogne de cet homme, la jeune fille n’était jamais occupée quand elle était avec lui ; elle s’asseyait nonchalamment d’un air maussade, sans jamais l’aider dans son travail.

Florence avait souvent désiré parler à cet homme ; mais elle n’avait pas encore osé le faire, parce qu’il ne se retournait jamais de son côté. Un matin cependant, elle descendit par un petit sentier bordé de saules, qui aboutissait au terrain pierreux situé entre sa demeure et la rivière : le brave homme était penché sur un feu qu’il avait allumé pour calfater sa barque renversée sens dessus dessous. En entendant ses pas, il leva la tête et lui souhaita le bonjour.

« Bonjour, monsieur, dit Florence en s’approchant de lui. Vous êtes à l’ouvrage de bon matin.

— J’y serais volontiers plus matin encore, mademoiselle, si j’avais de l’ouvrage.

— L’ouvrage est donc difficile à trouver ? demanda Florence.