Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Et Walter est noyé, dit le capitaine, n’est-ce pas ? »

Cette question répétée sans cesse était un singulier moyen de consolation, mais il faut croire que c’en était un pour le capitaine Cuttle, car il y revenait sans cesse.

Florence, ne pouvant pas manger, repoussa son assiette et se coucha sur le sofa. Elle lui tendit la main, car elle voyait bien qu’elle lui faisait de la peine, et elle eût au contraire sincèrement souhaité de lui être agréable après tous les tourments qu’elle lui avait causés. Mais il garda dans sa main cette petite main qui le serrait, et, semblant avoir oublié lui-même son dîner et son appétit, il continua à murmurer de temps en temps avec un grognement sympathique : « Pauvre Walter ! hélas ! hélas ! il est noyé, n’est-ce pas ? » Et il attendait toujours sa réponse, à laquelle il semblait attacher la plus grande importance.

La volaille et les saucisses étaient froides, le jus et la sauce aux œufs étaient figés, quand le capitaine se rappela ces mets délicieux et tomba dessus, aidé de Diogène. À eux deux ils eurent bientôt fini. Quelles furent la joie et la surprise du capitaine Cuttle, en voyant Florence faire la petite ménagère, l’aider à desservir la table, à balayer la salle à manger, à nettoyer la cheminée ! Mais avec quelle vivacité, lui aussi, il refusa d’abord son aide ! À la fin, cependant, il était tellement saisi d’admiration qu’il lui fut impossible de rien faire et qu’il resta à la regarder, comme si elle eût été une fée, remplissant pour lui l’office de ménagère. La raie rouge de son front en brillait de bonheur.

Mais quand Florence, décrochant la pipe de la cheminée, la lui mit dans la main, en le priant de la fumer, le capitaine fut si troublé par cette attention délicate, qu’il tint cette pipe honorée comme s’il n’en avait jamais tenu de sa vie. Puis lorsque Florence, regardant dans le buffet, en tira un petit flacon et lui eut préparé un grog délicieux, sans qu’il l’eût demandé ; en voyant le verre à côté de lui, son nez rugueux pâlit de l’honneur qui lui était fait ! Quand il eut bourré sa pipe, en proie à une satisfaction rêveuse, Florence la lui alluma avant que le capitaine eût eu le temps de s’y opposer ou de la prévenir. La jeune fille reprit alors sa place sur le sofa et le regarda avec un sourire de tendresse et de reconnaissance ; un sourire qui lui montrait si bien que son cœur abandonné se tournait vers lui dans sa douleur aussi bien que son visage, que la fumée de la pipe lui entra dans la gorge en le faisant