Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/185

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je continue à trier mes serviettes, et je me dis : Seigneur ! il faut penser à autre chose pour m’ôter ça de la tête. Je me mets alors à songer à la nouvelle maison, à miss Wilfer, et mon esprit trottait, il fallait voir, quand subitement (je tenais une paire de draps) les figures semblent cachées dans les plis, et la paire de draps m’échappe. » Elle était toujours par terre ; Boffin la ramassa, et la mit dans l’armoire.

« C’est alors que tu es descendue ? demanda-t-il.

— Non ; je voulais encore essayer. Je me dis en moi-même : je vais aller dans la chambre du patron, je la parcourrai trois fois d’un bout à l’autre, bien lentement, et cela me remettra. J’y entre donc avec ma chandelle ; et, quand je suis près du lit, les voilà tous dans l’air.

— Avec leurs figures ?

— Oui ; et même je les sentais dans l’ombre, derrière la porte du coin ; ensuite elles ont glissé dans l’escalier et sont allées dans la cour. »

Mister Boffin, tout ébahi, regarda sa femme, qui, de son côté, le regardait tout éperdue. « Ma chère, dit-il enfin, je crois que ce soir nous ferons bien de congédier Wegg ; il doit venir habiter le Bower, tout cela pourrait lui fourrer dans la tête qu’il y a des revenants dans la maison, le bruit n’aurait qu’à s’en répandre, et ce serait faux ; n’est-ce pas ma vieille ?

— Jusqu’à présent, Noddy, je n’y avais jamais pensé. J’étais dans la maison quand la mort y est venue ; je m’y trouvais dans le temps de l’assassinat ; jamais je n’avais eu peur.

— C’est fini, ma vieille, et cela ne reviendra pas. On est dans l’endroit, vois-tu, on y pense toujours, et voilà.

— Je sais bien ; mais pourquoi n’était-ce jamais arrivé ? »

À ce billet tiré à vue sur sa métaphysique, le mari ne put répondre qu’une chose, à savoir : que tout ce qui existe a commencé un jour ou l’autre. Passant alors sous son bras celui de missis Boffin, il descendit avec cette dernière pour congédier son lecteur. Silas Wegg, légèrement endormi par son copieux souper, et d’ailleurs escroc par tempérament, fut ravi de partir sans avoir fait la chose qui lui était payée comme si elle avait été faite.

Le mari prit son chapeau, la femme prit son châle ; et, pourvus d’un trousseau de clefs et d’une lanterne, ils parcoururent la maison de la cave au grenier ; maison affreuse du haut en bas, à l’exception des deux pièces occupées par le digne couple. Non content d’avoir donné cette chasse aux visions d’Henrietty, ils poussèrent leur examen jusqu’à visiter la cour, les hangars, les tas d’ordures. Les recherches terminées, ils posèrent la lanterne au pied de l’un des monticules, et se promenèrent tranquillement